Théâtre

À vouloir trop bien faire...

"Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée"... "On ne saurait pensait à tout"... Le premier proverbe incite au choix. Indéniablement, Frédérique Plain aurait dû faire le sien... Entre la production d'un spectacle se hissant au niveau d'une simple mais honorable troupe de théâtre amateur ou celui, plus ambitieux, d'une réalisation rigoureuse et exigeante, pour aller au bout de son projet et assumer une vraie direction d'acteurs. Malheureusement, force est de constater que la création présentée à l'Espace des Arts de Chalon-sur-Saône reste "le cul entre deux chaises" ! Et en attendant son passage aux Amandiers (à Nanterre), avec l'espoir d'éventuelles améliorations, ce que l'on a vu pour l'instant tiendrait plutôt du projet (intention) non abouti.



© Julien Piffaut.
Pourtant, au départ, la proposition était alléchante : marier (pacser !) deux pièces en 1 acte d'Alfred de Musset, écrites à l'époque où George Sand se faisait remarquer pour "port de pantalon" et avait déjà publié "Valentine", "Indiana" et "Lélia", trois brûlots contre le mariage. Prince des romantiques, Musset est aussi un dandy révolté et provocateur et, dans ces deux pièces, il questionne à la fois la problématique du mariage et les normes sociales qui en découlent ; la relation homme/femme avec un éclairage particulier sur l'indépendance et l'épanouissement de la femme ; la puissance de l'amour, auto-suffisant ou nécessitant une "aliénation" (socialement, philosophiquement) pour exister ; et la nécessité de le "verbaliser" pour en éprouver tous les effets.


Dans "Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée", il pose l'amour en débat existentiel, usant de la forme d'une joute verbale entre deux êtres engourdis par l'ennui. Ici, l'être aimé(e) se refuse à toutes prévenances et jette la séduction comme une faiblesse. Les échanges et les différents passages du prétendant séducteur sous ses "fourches Caudines" aboutiront à l'effet inverse : une déclaration d'amour maritalement consommable ! La folie et une approche surréaliste guide l'écriture de "On ne saurait penser à tout", produite quatre ans plus tard (en 1849). Il s'agit d'une structure marivaldienne à cinq personnages : un oncle burlesque, deux tourtereaux et deux domestiques ; basée sur une opposition : une affaire d'état dont l'importance frise le ridicule qui sied en général à cette dénomination, qui n'intéresse personne hormis le grotesque tonton ; et l'union tant espéré de nos deux amoureux qui préoccupe tout le monde... sauf les deux intéressés !


Si la langue de Musset peut paraître dépassée, la mécanique et la dynamique qu'il met en place à travers elle n'ont en aucun cas perdu leur modernité. Le propos en est même d'une mordante actualité, à une époque où l'amour peut se jouer sur un terrain purement virtuel, où le mot séduction s'écrit sur les leds de nos écrans numériques et où les maux de nos cœurs amoureux s'évanouissent dans les boîtes sans lettres de nos messageries électroniques.

© Julien Piffaut.
Pourquoi alors a-t-on l'impression dès les premières répliques que le phrasé, la musique des mots sonnent faux, que les attitudes des comédiens restent figées dans la température hivernale évoquée, visant plus la démonstration météorologique qu'une montée en puissance des radiateurs de leurs cœurs amoureux. Dans "Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée", Johan Daisme (La Marquise) et Rodolphe Congé (Le Comte) peinent à imprimer un rythme à leurs échanges. Et si parfois les prémices d'une passion verbale semblent apparaître, elle disparaît au premier courant d'air venu. La mise en scène sertie dans une lenteur stérile enferme l'ensemble dans une lourdeur que même la porte restée ouverte ne peut laisser échapper. L'espoir aurait pu naître avec "On ne saurait pensait à tout" où la jolie Caroline Piette (La Comtesse), pétillante et mutine à souhait, donne à son personnage une consistance toute en légèreté et finesse, empreinte d'une réelle sensualité. Mais le jeu de Jonathan Manzambi nous ramène vite à une triste réalité : un réel défaut de direction d'acteurs. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les répliques semblent sortir tout droit d'un pompier de service (profession que je respecte au demeurant) effectuant un remplacement au pied levé !


Au final, malgré un décor graphiquement réussi dont la mise en lumière affine les volumes et temporalise les saisons, on ressort avec le sentiment d'avoir assisté à un travail bâclé, où les intentions sont identifiables, et a priori justifiables, mais dont la réalisation n'a pas abouti, non pas faute de moyens mais plutôt par absence de rigueur (et d'ambition). Il manque une réel dynamique (rythme) pour structurer les deux pièces, et une meilleure appropriation du texte par les comédiens nous aurait emmener vers une modernité qu'incontestablement les prises de position et la plume alerte de Musset possèdent. À espérer que d'ici les Amandiers (Nanterre) le fruit aura mûri...

"Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée" et "On ne saurait penser à tout"

© Julien Piffaut.
(Vu le 28 janvier 2011)

Textes : Alfred de Musset.
Mise en scène : Frédérique Plain.
Avec : Johan Daisme, Rodolphe Congé, Caroline Piette, Jean-Jacques Blanc, Jonathan Manzambi.

Création à l'Espace des Arts de Chalon-sur-Saône du 25 au 29 janvier 2011.
11 mars au 9 avril 2011 : Théâtre Nanterre-Amandiers.
12 au 15 avril 2011 : Théâtre Dijon Bourgogne - CDN.
20 au 22 avril 2011, Théâtre de Bourg-en-Bresse.

Gil Chauveau
Jeudi 17 Février 2011
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