Théâtre

À "Cataract Valley"… la forêt est morte, comme le rêve

"Cataract Valley", Odéon Théâtre de l'Europe, Paris

Sur scène, de vrais arbres et arbustes qui sentent bon, un sol couvert d'aiguilles de pin, des troncs couchés et des billots épars, au lointain une vraie cataracte d'eau qui apparaît dans la nuit, Marie Rémond adapte de manière naturaliste une nouvelle de Jane Bowles "Camp Cataract" sous le titre "Cataract Valley"… Place au théâtre, ce jeu de cache-cache avec les artifices.



© Simon Gosselin.
Dans cette adaptation, dans ce dispositif, il est question d'une histoire américaine, de l'état de nature et du goût pour le confort agréable. De socialité simple et d'individualisme sophistiqué. De refuge enfantin, de fuite dans la cabane pour échapper aux conflits familiaux. De Robinsonnade qui accueille les destins divergents de trois sœurs soudées par la peur de l'extérieur, par l'impossibilité de vivre séparées et de vivre ensemble, de trouver sa place dans le monde, de ne pouvoir échanger autre chose que des conflits et de la folie.

Trois sœurs Evy, Sadie, Harriet qui rêvent chacune à leur manière d'un état de Nature harmonieux et de longue durée. L'une, Evy, à la ville, l'autre, Harriet, à l'écart, la troisième, Sadie, nulle part. Avec, au centre des préoccupations, un camp(ing), un im-mobile home sweet home sans issue. Mythe d'un retour aux origines. Rêve impossible à atteindre.

Cela est parfaitement maitrisé par la mise en scène qui chemine par le récit et par l'image. Les comédiens sont dans ce décor comme dans un terrain de jeu. Espiègles, attentifs à un rendu qui fleure bon la bande dessinée, attentifs à des effets de grossissement qui sont autant de vrai dépassement de la caricature. Le théâtre affirme sa vérité.

© Simon Gosselin.
Et de ce spectacle, le public voit et vit la dégradation du décor et des personnages. La désillusion en œuvre. L'eau de la cataracte stockée dans les cintres a le parfum du plastic, les épicéas ont perdus leurs aiguilles, ce sont des arbres morts. Le chef sioux naturellement en "bon sauvage" n'est qu'un blanc maquillé et le camp une machine à travestissements.

Sous le plaisir immédiat que procure ce spectacle, une tragédie couve silencieuse. À cet égard, l'état d'hébétude, d'ébahissement auquel parvient Caroline Arrouas, dans le rôle de Sadie qui découvre le mensonge de ce qui l'entoure, est un point de cristallisation du sens. Ses balbutiements figent les sourires et le rire des spectateurs. Ils assistent en direct à une véritable bascule vers la tragédie.

Celle d'un voyage sans retour. À Cataract Valley, silencieuse, la chenille processionnaire, citée dès les première répliques et oubliée le temps du récit, a fait son œuvre : la forêt est morte, comme le rêve.

"Cataract Valley"

© Simon Gosselin.
D'après "Camp Cataract" de Jane Bowles
Un projet de Marie Rémond.
Adaptation et mise en scène : Marie Rémond et Thomas Quillardet.
Avec : Caroline Arrouas (Sadie), Caroline Darchen (Evy, Beryl), Laurent Ménoret (Bert, l'indien, la grosse agnostique), Marie Rémond (Harriet).
Traduction : Claude Nathalie Thomas.
Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy.
Costumes : Marie La Rocca.
Lumières : Michel Le Borgne.
Son : Aline Loustalot.
Durée : 1 h 30.

17 mai au 15 juin 2019.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h.
Odéon Théâtre de l'Europe, Ateliers Berthier, Petite Salle, Paris 17e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

Tournée
8 au 17 janvier 2020 : TnBA, Bordeaux (33).
29 au 31 janvier 2020 : Grand Théâtre, Lorient (56).

© Simon Gosselin.

Jean Grapin
Samedi 8 Juin 2019
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