Cirque & Rue

"52ᵉ Folies Gruss" Associer tradition et modernité dans une création pluridisciplinaire profondément humaniste

Il va sans dire que si vous décidez d'aller assister au nouveau spectacle des Folies Gruss à l'occasion de cette 52ᵉ saison, vous découvrirez inévitablement des artistes chatoyants et virevoltants entre acrobates intrépides, musiciens experts, écuyers, écuyères élégantes et autres équilibristes et jongleurs prodiges… Mais pas que.



© Olivier Brajon.
Dès les premières secondes de ce spectacle inédit, unique en Europe, le public est sous le charme d'un quelque chose "en plus". Le charme du cirque et de son univers à nul autre pareil, certes, héritier des rituels antiques, reposant sur l'esthétique du danger, réel, et non pas simulé comme au théâtre ou au cinéma, et empreinte d'une ambiance si unique et si singulière. Et cette année, sous le charme d'un travail en famille, solidement soudée et revigorante.

Dans la famille Gruss, une des plus grandes dynasties circassiennes en Europe, la transmission des savoirs est peut-être plus exacerbée que dans d'autres familles. La famille appartenant à ce que l'on nomme parfois "le vieil arbre généalogique du cirque européen". Et c'est probablement à l'occasion de cette 52ᵉ édition que le public mesurera le poids de cette entité toute particulière, faite de transmission patrilinéaire et de polyvalence, chez les artistes, hommes et femmes confondus(es).

© Olivier Brajon.
À ce titre, comment ne pas penser à Alexis Gruss, malheureusement disparu l'an dernier, fondateur dans les années soixante-dix du "Cirque à l'Ancienne", à contre-courant d'un cirque dominé à l'époque par le spectaculaire et l'exotisme. L'adjectif "ancien" n'ayant rien de nostalgique ici, mais revêtant davantage une consonance programmatique avec retour à la piste circulaire, la primauté de la musique live, et surtout le cheval, car le cirque Gruss est avant tout un cirque équestre !

Le cheval y est roi, symbole d'une harmonie toute maîtrisée entre l'humain et l'animal. La tradition de la haute école, du dressage en liberté et des grandes cavaleries y est centrale. Le cheval n'y est pas un simple élément sensationnel comme dans d'autres cirques, mais il est intégré à une écriture chorégraphique sensible et largement intégrée au reste du spectacle.

Avant même l'entrée sous le chapiteau, le public est précisément accueilli par un sublime frison, majestueux, sculptural et d'une rare élégance, comme le sont d'ailleurs tous les chevaux de cette race sublime. Monté par Charles Gruss, un des jumeaux de Stéphane Gruss, il nous salue noblement avec une théâtralité naturellement exceptionnelle, et se laisse caresser, brisant ainsi la barrière que sa stature grandiose impose. Le ton est donné, déjà, par le biais de cette mise en scène préambule : proximité, convivialité, fraternité, beauté surgissent d'emblée, comme un leitmotiv.

© Olivier Brajon.
Il y a de la modernité également dans cette nouvelle création, car "si la passion patrimoniale demeure bien présente cette année encore, c'est une envie de chanter, de danser sur la piste, de faire découvrir l'envers du décor, les secrets de fabrication d'un grand show pluridisciplinaire" qui a animé la famille Gruss.

Qu'en penserait le patriarche, Alexis Gruss, de ce nouvel élan, de ce défi relevé ? Gageons qu'il en serait fier et honoré, car, derrière la tradition revendiquée, c'est un spectacle novateur qui nous est proposé cette année, "tous les artistes incarnant leur propre rôle, celui d'artistes en pleine quête créative qui travaillent, cherchent, inventent, répètent et peaufinent". Lors des cinquante ans du Cirque, la famille Gruss avait déjà fait incursion dans l'univers de la comédie musicale, mais cette année, il y règne une dimension plus intime, plus vraie, toute auréolée d'une émotion forcément particulière, car il s'agit de la première production sans "Le" père.

"Jamais une création ne m'aura autant tenu à cœur, confie Stephan Gruss. Elle est le fruit d'un élan, d'une urgence irrésistible : celle de faire rayonner l'héritage extraordinaire que nos parents nous ont transmis tel un trésor qui ne demande qu'à être partagé. J'ai pris la plume pour écrire chaque réplique. J'ai supervisé la composition de chaque mélodie, de chaque chanson, imaginé chaque tableau. Cette création, c'est l'aboutissement de tout ce que j'ai vécu, de tout ce que j'ai appris artistiquement. C'est la pérennité de chaque expression que mon père répétait, de chaque leçon qu'il nous prodiguait".

Cela se voit, cher Stéphan ! Cela se sent, se croque à pleines dents, se respire à plein nez, tout ce besoin que vous aviez de dire, de transmettre, pour perpétuer la mémoire de votre père et mettre au pinacle cette entité si essentielle et si fragile à la fois : "la Famille". Cette entité qui existe tant bien que mal dans le monde "normal"… Mais à bien y regarder, quel est le monde le plus normal ? Celui que nous connaissons toutes et tous, et qui bien souvent détruit plus qu'il n'aide à avancer ? Ou celui des Gruss, circassiens, passeurs de mémoire, bardés de transmission, de respect, de valeurs et d'union ?

© Olivier Brajon.
Certes, la 52ᵉ création du Cirque Gruss, ça reste du cirque à l'état pur, le spectacle commençant par un remarquable hommage au cheval. Cinquante chevaux en liberté présentés par tous les membres de la famille, les douze races ensemble, sans distinction. Un carrousel somptueux, vibratoire et comme incandescent qui fait monter d'emblée l'émotion au plus haut. Un moment très intense du spectacle dès l'ouverture ! L'émotion, par la suite, ne disparaîtra pas.

"Puis, la comédie musicale pure débute avec des chansons originales composées et interprétées par la nouvelle chanteuse, Margot Soria, sur une musique originale, composée par les quatre musiciens intégrés à la famille".

Ensuite, tout s'enchaîne avec brio et maestria, de façon fluide, chatoyante, virevoltante, et intensément émouvante pour qui saura regarder un peu en coulisses, écouter les paroles prononcées, et percevoir, derrière la beauté du geste et les paillettes, le labeur, le travail, la sueur, les pleurs quand on tombe et que ça rate, ou les sourires ou les cris de joie quand le numéro est réussi.

© Olivier Brajon.
"Répéter ! Répéter ! Encore et encore. Inlassablement, au sein de cette école de vie qu'est le cirque Gruss, alors que, dans la vraie vie, elle perd de son sens…"

Sur la piste, les allures majestueuses des chevaux toutes races confondues, l'élégance et l'agilité des corps aguerris vêtus de lumière, les acrobaties remarquablement soignées, mais dangereuses, les chorégraphies taillées au cordeau, sous la houlette de Grégory Garell, nous ramènent inlassablement à la figure du maître Alexis, et à sa conception quasi humaniste du cirque, mais surtout familiale.

Le maître n'est plus là sous les feux des projecteurs, il est désormais en coulisses, et regarde, analyse, savoure, tel un maître de ballet ou un chef d'orchestre exigeant pour qui l'excellence était le maître-mot.

L'excellence est bien présente ici, toute pérenne, jusqu'au bout de chaque ongle humain et chevalin. C'est un spectacle fédérateur et de toute beauté, entre tradition et modernité affichée, que les artistes polyvalents(es) accompagnés(es) de leurs cinquante chevaux nous proposent ici.

© Olivier Brajon.
La présence sur la piste de Camilla Gruss – dite Gipsy –, l'épouse du maître, ne fait que renforcer l'impression sensible de souveraineté et de joie mêlées, et de partage. Elle virevolte aux côtés de ses enfants et petits-enfants avec une grâce inégalée. Une belle et grande leçon, ici, que celle de perpétrer les liens familiaux, si nécessaires…

Courez découvrir cette nouvelle édition des Folies Gruss, une expérience immersive de la plus belle teneur, entre vision traditionnelle, artisanale et profondément humaniste.
"C'est trop facile de rentrer chez soi. Quand les artistes nous invitent autour de la piste", dit la chanson.
◙ Brigitte Corrigou

"Folies Gruss 2025 - 52ᵉ édition"

© Olivier Brajon.
Mise en scène : Stéphan Gruss.
Avec : Gipsy Gruss, Stéphan Gruss, Firmin Gruss, Sveltana Gruss, Maud Gruss, Pauline Mikolajczyk, Alexandre Gruss, Olivia Gruss, Charles Gruss, Jeanne Gruss, Célestine Gruss, Gloria Florees, Venecia Florees et Alexandre Malachikhin.
Chanteuse : Margot Soria.
Direction musicale : Sylvain Rolland et Stéphan Gruss.
Musiciens : Sylvain Rolland, Massimo Murgia, Cyril Moret, Julien Teissier, Pascal Balzano, Christophe Gonnet, Nicolas Saussea, Ivan Kabok.
Composition : Margot Soria, Massimo Murgia, Cyril Moret, Julien Teissier.
Scénograpie et création lumière : Grégory Antoine.
Costumes : Sylvain Rigault.
Chorégraphie Grégory Garell.
Compagnie Alexis Gruss
Durée : 1 h 45.

Du 19 octobre 2025 au 29 mars 2026.
Du jeudi au samedi à 21 h, samedi et dimanche à 15 h,
tous les jours pendant les vacances scolaires à 15 h et 21 h.
Chapiteau Gruss, Carrefour des Cascades, Paris 16ᵉ.
Réservations : 01 45 01 71 26.
>> Billetterie en ligne
>> folies-gruss.com

En matière de bien-être animal, la famille Gruss est à la pointe des exigences légales pour leurs 50 chevaux (boxes spacieux, sorties journalières, soins quotidiens, suivi vétérinaire rigoureux, etc.). Gruss ont créé en 2019 les Fonds de dotation Alexis Gruss. Après avoir accompli leur carrière, les chevaux profitent de leur retraite à Piolenc (84), dans un lieu pensé par Alexis Gruss lui-même.

Brigitte Corrigou
Mercredi 24 Décembre 2025
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