La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"Zoroastre"… entre violence et passions précieuses

Pour la 31e édition du Festival de Radio France à Montpellier et dans sa région, l'Ensemble Pygmalion dirigé par Raphaël Pichon a offert "Zoroastre", un opéra assez rare de Jean-Philippe Rameau, en version concert. L'occasion d‘applaudir la fine fleur de jeunes chanteurs tels Nicolas Courjal et Emmanuelle de Negri.



Ensemble Pygmalion et Raphaël Pichon © Pablo S Ruiz.
Ensemble Pygmalion et Raphaël Pichon © Pablo S Ruiz.
Quel opéra pouvait mieux que "Zoroastre" s'inscrire dans l'édition 2016 du festival de Radio France ? Un festival méditerranéen dont le thème est cette année "Le Voyage d'Orient". Sixième et dernier opéra de Rameau représenté avant la fameuse Querelle des Bouffons, "Zoroastre" est un des ces opéras qui ne peuvent mieux mériter leur qualification de "baroque" avec son intrigue centrée sur le combat des Puissances du Bien et du Mal (le mage Zoroastre contre le prêtre Abramane) et leurs amours contrariées dans une Perse de fantaisie.

Le méchant Abramane veut séduire la douce héritière du trône de Bactriane Amélite. Repoussé par cette princesse amoureuse de Zoroastre, il nouera une alliance maléfique avec la princesse Erinice (1), elle-même aimant sans espoir le mage en pleine initiation.

Avec ses archanges et ses esprits malins, parties prenantes dans un combat très symbolique entre la lumière et les ténèbres, le livret de Louis de Cahusac, franc-maçon notoire, anticipe l'opéra maçonnique de Mozart - et son Sarastro dans "La Flûte enchantée". Une tragédie lyrique héritée du théâtre à machines et en musique donc (et pas si éloignée des tragédies précieuses de Voltaire) avec ses moments langoureux, lyriques et d'autres très impressionnants, à coup de percussions et d'éclats de tonnerre (comme dans l'ouverture et l'acte IV).

Emmanuelle de Negri © Stéphane Lariven.
Emmanuelle de Negri © Stéphane Lariven.
Première chose, on ne peut que regretter l'absence de mise en scène à Montpellier et se souvenir de la production de l'Opéra Comique de 2009. Mais il semblerait que des difficultés d'ordres divers cette fois aient imposé la version concert. Soit.

L'Ensemble Pygmalion, chœur et orchestre, et les solistes invités parviennent à nous intéresser à ce combat grandiose (ici purement théorique) et, ce, grâce à leur talent mais aussi à une œuvre qui fait la part belle à l'orchestre - un personnage en soi - aux intermèdes de danses, bref à une écriture qui crée un puissant théâtre évocateur tout en effaçant souvent la frontière entre airs et récitatifs. Malgré quelques longueurs, la partition de Rameau est vraiment riche de cette "tendresse délicate et charmante d'accents justes, de déclamation rigoureuse dans le récit…" (2), de "cette clarté dans l'expression, ce précis et ce ramassé dans la forme, qualités particulières et significatives du génie français" (2) que lui reconnaissait Debussy.

Raphaël Pichon et son ensemble rendent justice à cette subtilité comme à cette exubérance toute baroque. Sa version, tout à la fois ramassée et racée, souligne chaque phrase avec ses pleins et déliés ravissants, ses éclats infernaux ou accents éthérés - grâce aussi à un chœur de grande qualité. Nicolas Courjal est un Abramane mémorable, un méchant gourmand et pleinement investi, idéal d'articulation et d'expressivité.

Emmanuelle de Negri est une Erinice déchirée et complexe, au beau chant tout en nuances et contrastes attendus, tandis que l'Amélite de Katherine Watson, souvent belle, manque parfois justement de subtilité. L‘amant parfait et mage Zoroastre bénéficie de l'art bel cantiste de Reinoud van Mechelen. Le plateau brille aussi à l'envi dans les seconds rôles.

D'autres rendez-vous notables au festival de Radio France sont encore à venir, dont un opéra rare de 1898 de Pietro Mascagni, "Iris", le 26 juillet avec la soprano Sonya Yoncheva et l'Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon sous la direction de Domingo Hindoyan.

(1) Erinice est donc une Erinye (ou Furie) mais aussi une amante inconsolable, héritière des romans précieux.
(2) Voir les multiples plaidoyers du compositeur de "Pelléas" pour un Rameau qu'on exhumait alors de l'oubli, à lire dans "Monsieur Croche" (recueil d'articles écrits entre 1901 et 1917), "L'Imaginaire" Gallimard.

Reinoud van Mechelen © DR.
Reinoud van Mechelen © DR.
Festival de Radio France Montpellier - Région Languedoc-Roussillon- Midi-Pyrénées
Du 11 au 26 juillet 2016.

Programme complet :
>> festivalradiofrancemontpellier.com

"Zoroastre" (1756).
Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes.
Musique de J. P. Rameau (1683-1764).
Livret de Louis de Cahusac.
En français surtitré.
Durée : 2 h 50 avec entracte.

Prochaine date :
9 novembre 2016 à 20 h.
Opéra royal de Versailles.

© Pablo S Ruiz.
© Pablo S Ruiz.
Reinoud van Mechelen, Zoroastre.
Nicolas Courjal, Abramane, Grand Prêtre.
Emmanuelle de Negri, Erinice.
Katherine Watson, Amélite.
Christian Immler, La Vengeance, Oromasès.
Léa Desandre, Céphie.
Virgile Ancely, Zopire.
Etienne Bazola, Narbanor.

Ensemble Pygmalion.
Raphaël Pichon, direction.

Christine Ducq
Jeudi 21 Juillet 2016

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique











À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024