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Théâtre

Un subtil cabaret parole et chanson… juste pour l'intimité du spectateur

"Robert le diable", Théâtre de Poche Montparnasse, Paris

"Dans une rose à Bagatelle / Naquit un jour la coccinelle / Dans une rose de Provins / Elle compta jusqu'à cent vingt. (…) / Bête à bon Dieu, bête à bon point." L'homme qui écrit ainsi pour les enfants en 1943 dans le recueil "Chantefables" est un personnage hors du commun.



© Matthieu Ponchel.
© Matthieu Ponchel.
Rober Desnos haïssait la guerre et pourtant la fit parce que cela était nécessaire. Batailleur, il la traversa plus de quatre années durant et défia, gifla et railla en public les journalistes collaborateurs. Robert Desnos résistait en cachette, fut déporté in extremis et mourut du typhus au camp de Theresienstadt (Terezin).

Dans le spectacle "Robert le diable", Marion Bierry, par la seule force et le choc de ses mots, interroge le destin de l'homme populaire que fut Robert Desnos. Point de décors, point d'effets pour distraire le spectateur. Point de biographie compassionnelle. Deux échelles, quelques tabourets. Juste ce qu'il faut pour que quatre comédiens, chanteurs diseurs portent les textes. Ils vont et viennent, entrent et sortent, feintent la fugue et se rencontrent au hasard. Entre swing et musette, un effet de ballet discret enlace avec entrain et les uns et les autres.

C'est un récital juste pour l'intimité du spectateur, un subtil cabaret parole et chanson, comme un quatrain. Le Paris grouillant des années vingt et trente et quarante défile. Le spectateur se trouve plongé dans un kaléidoscope sonore, dans le tumulte d'un caractère passionné qui compose des chansons, des poèmes, des diatribes à la fois, journaliste, homme de radio, poète.

© Matthieu Ponchel.
© Matthieu Ponchel.
Homme populaire, de la complainte de Fantômas aux périphrases de la réclame pour bébé cadum (on ne disait pas encore publicité), Desnos épouse son siècle. Les calembours, les jeux de mots appuient les incongruités du monde. Les mots sonnent, laissent les images advenir et filer au hasard. L'écriture est apparemment simple et son automatisme paraît naturel. C'est au quotidien une capacité à regarder et discerner la beauté et la vitalité de la vie dans les faits et les gestes les plus concrets. Borné par l'humour noir, burlesque et dérisoire, les vers de mirliton construisent une image, un récit où fulgure la beauté, sa fugacité, sa rémanence. Une jeune femme. Un sourire. Un amour.

La gaité rejoint l'impertinence, la gouaille ajuste des instants de pure poésie. Et l'amour de la Beauté, l'amour tout court de la Vie et de l'Amour, éclatent avec d'autant plus de vigueur que la haine de la Bêtise, qui lui était scandale, explose, immense. Et sous la gaité se lit une sourde et profonde inquiétude : celle de la plongée en tragédie.

Les quatre comédiens émeuvent. Ils font ressentir le drame et entendre la colère.

Le spectateur (re)découvre Desnos : celui qui sut décrire la famille Dupanard, relater la vie des quatre sans cous et apostropher Adolphe Hitler lui-même. Robert Desnos, poète classique et homme moderne, continuateur à bien des égards des zutistes et de Ronsard. Desnos créateur du merveilleux, renaissant toujours à la poésie comme Rimbaud.

"Robert le diable"

© Matthieu Ponchel.
© Matthieu Ponchel.
Cabaret Desnos.
Conçu par Marion Bierry.
Avec : Marion Bierry, Vincent Heden, Sandrine Molaro, Alexandre Bierry.
Durée : 1 h 10.
Compagnie Le Rouge et Le Noir.

Du 19 octobre 2015 au 18 janvier 2016.
Le lundi à 20 h 30.
Théâtre de Poche Montparnasse, Paris 6e, 01 45 44 50 21.
>> theatredepoche-montparnasse.com

Jean Grapin
Mardi 3 Novembre 2015

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© Jean-François Delon.
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06/03/2024
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© Pics.
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Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

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Bruno Fougniès
15/10/2023