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"Faces"… La poésie du geste et du mouvement !

"Faces", Théâtre de la Ville, Paris (Future rubrique "Les Temps Dansent")

Dans une ossature artistique de très belle composition, Maguy Marin dénonce politiquement, dans des tableaux de toute beauté, une société de consommation où les mécanismes de la manipulation de masse sont mis à nu.



© Jean-Pierre Maurin.
© Jean-Pierre Maurin.
Les premiers instants laissent percer une atmosphère de bruits et de sons dans une semi-obscurité où apparaissent les vingt-huit danseurs de l’Opéra de Lyon, avec barbes pour les dames et lunettes noires pour les messieurs.

Le spectacle est décomposé en tableaux. Maguy Marin prend les armes de la ballerine et du mouvement poétique pour dénoncer la croissance de l'anonymat de l’être humain dans une société de consommation où la parole devient écho perdu et la communication presque bruit. Ce point de vue politique est donné sur scène avec talent, grâce et intelligence. La politique couche avec la beauté et l’Art à chaque tableau. Nous sommes dans une mosaïque artistique dans laquelle le mouvement est arrêté, le pas figé, la grâce toujours présente. C’est beau et inspiré !

Le festival d’Automne présente un itinéraire vivant de l’œuvre de Maguy Marin autour de huit spectacles de la chorégraphe dans neuf théâtres différents. Après plus de trente ans de création, Maguy Marin demeure la chorégraphe dont les œuvres ont marqué, par leur audacieuse créativité, "la nouvelle danse française".

"Faces" (2011) est né de la lecture de l’œuvre d’Edward Bernays "Propaganda" dans laquelle les principes de la manipulation de masse sont décortiquées. Sur scène, se succèdent des tableaux où la masse humaine et le groupe sont happés dans leur envol, croqués dans leur élan. À croire que l’immobilité est plus à même de faire parler les corps ou d’éveiller les esprits. C’est un savoureux alliage entre mouvement et arrêt, impulsion et éclosion, grâce et poésie. Dans chaque tableau, le talent s’immisce en tapinois et déboule sur scène.

© Jean-Pierre Maurin.
© Jean-Pierre Maurin.
Chaque séquence semble être un tableau de peinture vivante. Pour toutes, ce sont différents moments croqués dans une mise en perspective à la fois vivante et figée. Là, c’est le visage de la révolte, ici ce sont des meurtres en séries, plus loin des corps anonymes dans une foule, encore plus loin, des articles, au travers de canettes de coca-cola ou de sacs FNAC, qui incarnent la quintessence d’une société où la consommation boude le goût.

C’est tout un ensemble de fixité et de mouvements qui s’enchevêtre avec harmonie. La fixité est éclairée quand les mouvements, glissées et courts, se devinent dans l’obscurité. Le geste est attrapé au vol quand les mouvements des danseurs sont droits pour la plupart, ondulés pour certains, brisés pour d’autres.

La poésie du geste et le lyrisme des attitudes, dans des épanchements de corps mi brisés et mi courbes douchés sous de belles lumières en clair-obscur, sont agencés de façon harmonieuse et inspirée.

Le mouvement est beau, l’ensemble, superbe. Tout est en mesure, synchrone, du simple geste, au mouvement le plus significatif. Tout est fin, net, tranché. C’est de l’Art et du grand !

Les tableaux, construits en deux ou trois séquences de mouvements, montrent des individus qui s’attroupent, s’amassent pour devenir un ensemble dont la cohésion éteint le particularisme de chacun. C’est la masse qui tue le groupe, le pluriel qui bâillonne la singularité de chacun.

Derrière ces attitudes et ces mouvements, le masque est toujours présent avec en arrière fond des téléviseurs qui tournent. Un masque qui peut être maquillage blanc et gris, barbe fournie, canette de coca-cola, ou talon aiguille. Un masque qui jette la personne dans l’ornière de l’individu. C’est superbe !

"Faces"

© Jean-Pierre Maurin.
© Jean-Pierre Maurin.
Chorégraphie et mise en scène : Maguy Marin.
Collaboration à la conception du spectacle et création sonore : Denis Mariotte.
Avec les 28 danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon.
Costumes et accessoires : Montserrat Casanova.
Scénographie : Michel Rousseau.
Lumières : Alexandre Béneteaud.
Dispositif sonore : Antoine Garry.
Durée : 1 h 15.

Du 13 octobre au 21 octobre 2012.
Du mardi au vendredi à 20 h 30, samedi 13 et 21 octobre à 15 h et 20 h 30, dimanche à 15 h.
Théâtre de la Ville, Paris 4e, 01 42 74 22 77.
>> theatredelaville-paris.com

Festival d’Automne
Représentations du 16 au 27 octobre au théâtre de la Bastille, du 13 au 17 novembre au Centquatre, du 22 au 27 novembre au théâtre de la Cité Internationale, du 29 novembre au 1er décembre, du 6 au 8 décembre et du 13 au 15 décembre au Théâtre Nationale de Chaillot et le 3 décembre à la Cinémathèque Française.
>> festival-automne.com

Safidine Alouache
Jeudi 18 Octobre 2012

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