La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Amphitryon" par Stéphanie Tesson, un équilibre entre la justesse baroque et la sensibilité contemporaine

"Amphitryon", Théâtre de Poche-Montparnasse, Paris

Si l'on en croit Jean-Baptiste Poquelin alias Molière, Jupiter en divin farceur "sait dorer la pilule". Dans "Amphitryon", le roi des dieux joue les coucous et s'amuse à faire cocu le maître de maison, Amphitryon, noble et vaillant mortel qui se fera offrir une descendance de divin bâtard. Jupiter regrette toutefois qu'il lui faille apparaître sous les traits du mari pour être aimé.



© Pascal Gely.
© Pascal Gely.
L'insolence de la proposition est extrême*, et Molière fait preuve d'une virtuosité sans pareille. Écrit en vers, le texte type fortement ses personnages. Ceux-ci, tout en faisant preuve d'une maîtrise parfaite de l'élocution, sont pris au piège d'une intrigue particulièrement retorse et complexe, parce que tous ses éléments sont dédoublés.

Sosie le valet a son sosie en la personne de Mercure, Amphitryon a le sien en la personne de Jupiter. De duos en duos, de quiproquos en quiproquos, les situations se reproduisent comme autant de variations de la même farce.

La pièce fait la part belle aux duettistes. Le langage de cour maîtrisé et alambiqué rencontre l'écho du langage familier et spontané, en usage au sein des couples, au sein des ménages. À la noblesse de l'un s'oppose la couardise ou la franchise de l'autre. Face à la posture de l'un s'oppose l'agilité de mouvement de l'autre. Les mots sont pris en charge par les situations et réciproquement. Les écarts se creusent. Les effets comiques se propagent. Dans la succession des mésaventures, le maître de maison se voit maltraité par son valet et le roi des dieux traité comme un mari ordinaire.

© Pascal Gely.
© Pascal Gely.
Le rôle titre va d'étonnements en stupéfactions et le spectateur n'a pas d'autre échappatoire que d'être complice et de se mettre à rire librement. Il y a dans "Amphitryon", dans ce geste hardi du théâtre de farce, une forme de perfection qui, par les moyens de sa théâtralité, démontre avec force le mensonge des apparences. Et symétriquement et subtilement témoigne combien la justesse, la noblesse de ton, de sentiment et de manière appartiennent en propre à l'art du comédien.

Stéphanie Tesson qui met en scène restitue l'œuvre dans une esthétique de tréteau et trouve un équilibre entre la justesse baroque et la sensibilité contemporaine. Nicolas Vaude qui joue Sosie a la vélocité, la souplesse d'un Arlequin. Il est un digne successeur de Molière qui créa le rôle. Et Jean-Paul Bordes qui joue Amphitryon a la belle voix grave, posée, digne, ainsi que la contenance qui sied pour accompagner la désintégration du personnage.

La troupe qui entoure ce duo est complice et joyeuse.

Le spectateur applaudit des deux mains.

*À l'époque, le marquis de Montespan a très peu apprécié l'aventure de la marquise avec Louis XIV. Et le faisait savoir.

"Amphitryon"

© Christophe Cham.
© Christophe Cham.
Texte : Molière.
Mise en scène : Stéphanie Tesson, assistée d'Antony Cochin.
Avec : Jean-Paul Bordes, Benjamin Boyer, Antony Cochin en alternance avec Yannis Baraban, Odile Cohen, Mathias Maréchal, Guillaume Marquet en alternance avec Laurent Collard, Christelle Reboul, Nicolas Vaude.
Costumes : Corinne Rossi.
Peintures des costumes et des toiles : Marguerite Danguy des Déserts.
Lumières : Florent Barnaud.
Maquillages et perruques : Anne Caramagnol, assistée de Stéphanie Rossi.
Production Phénomène et Cie.

Du 12 septembre au 31 décembre 2017.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 15 h.
Relâches exceptionnelles les 6, 7, 12, 14, 19 octobre ; 9, 16, 25 novembre et 9 décembre.
Théâtre de Poche-Montparnasse, Paris 6e, 01 45 44 50 21.
>> theatredepoche-montparnasse.com

Jean Grapin
Jeudi 28 Septembre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter











À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024