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Concerts

Nouvelle donne : Emmanuel Krivine à la tête de l'Orchestre National de France

Le concert inaugural de la saison 2017-2018 de l'Auditorium de Radio France était aussi celui d'Emmanuel Krivine à la tête de l'Orchestre National de France. Dans un programme mi-germanique mi-français, le nouveau directeur musical de l'une des premières phalanges françaises a dessiné la voie du futur.



Luc Héry et Emmanuel Krivine © Radio France/Christophe Abramowitz.
Luc Héry et Emmanuel Krivine © Radio France/Christophe Abramowitz.
Premier chef titulaire français de l'ONF depuis le départ de Jean Martinon en 1973, Emmanuel Krivine est l'homme bienveillant, érudit et plein d'humour que l'on connaît. Ce violoniste, devenu chef de l'Orchestre National de Lyon (1987-2000), de l'Orchestre Français des Jeunes et de l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg (2006-2015), fondateur de La Chambre Philharmonique, prend donc en main cette année le destin d'une des premières phalanges françaises. Son premier concert dans le bel Auditorium de Radio France était donc très attendu.

Il avait choisi pour la circonstance la "Passacaille pour orchestre" opus 1 d'Anton Webern, les "Quatre derniers Lieder" (opus 150) de Richard Strauss et la Symphonie en ré mineur de César Franck - qu'il avait déjà dirigée en 1995 à la tête de l'ONF. L'occasion de mettre en pratique sa philosophie de chef : un musicien qui partage son amour des œuvres avec l'orchestre dans un climat de confiance mutuelle.

La "Passacaille" - seule œuvre tonale (avec l'opus 2) du compositeur de la Seconde École de Vienne, élève d'Arnold Schönberg de 1904 à 1910 - pose les principes d'écriture typiques de Webern avec ses constants renouvellements, l'utilisation du silence et sa concision. D'une durée d'une dizaine de minutes, cette passacaille (une danse de cour au XVIIe siècle) est l'une des partitions les plus longues du compositeur.

Emmanuel Krivine et l'ONF © Radio France/Christophe Abramowitz.
Emmanuel Krivine et l'ONF © Radio France/Christophe Abramowitz.
L'énergie rageuse, les oppositions rythmiques de la première œuvre assumée d'Anton Webern trouve ses excellents interprètes avec les musiciens du National. Son lyrisme fiévreux s'épanouit dans une orchestration subtile qui met en valeur tous les pupitres. Le violon de Luc Héry (1) chante dès l'entrée dans un solo superbe.

Composés entre mai et septembre 1948, quelques mois avant sa mort, les "Vier Letzte Lieder" de Richard Strauss forment un cycle testamentaire (2) sublime, du Printemps ("Frühling") au Crépuscule ("Im Abendrot") telle une vie qui jette un dernier regard sur son passé et ses tragédies intimes. Ultime chant du post-romantisme, l'œuvre pour soprano et orchestre (vrai composé alchimique pour la voix et l'orchestre) fascine par son lyrisme ténébreux et les prestiges ensorcelants d'une élévation rare.

Si les musiciens déroule ce superbe tapis sonore legato - notons les merveilleux solos du cor de Hervé Joulain et le bouleversant violon de Luc Héry ("Beim Schlafengehen"), les interventions des cuivres, des bois et en particulier des flûtes si décisives ("Im Abendrot") - la soprano Ann Petersen déçoit. Lignes musicales parfois approximatives en décalage avec l'orchestre, aigus assez stridents, vibrato envahissant, tout se révèle insuffisant - jusqu'à un timbre peu séduisant.

Emmanuel Krivine et l'ONF © Radio France/Christophe Abramowitz.
Emmanuel Krivine et l'ONF © Radio France/Christophe Abramowitz.
La sympathie (au sens étymologique) perceptible entre Emmanuel Krivine et son orchestre se confirme avec la "Symphonie en ré mineur" de César Franck. Appartenant à la troisième (et meilleure) époque créative du compositeur (en 1888), elle influencera durablement l'écriture de la génération suivante. Cyclique par son architecture, mélancolique et de haut ton, elle n'est pourtant guère passionnante ici. En cause un sentiment de statisme à l'écoute du Finale (guère mystique ici) et ses récapitulations des deux premiers mouvements.

Mais Emmanuel Krivine entame seulement sa recherche sonore avec l'ONF et son travail (avec les cordes par exemple) est un gage pour l'avenir. À l'écoute de cette transparence coloriste et raffinée - l'apanage des Français comme on le sait - la superbe "Barcarolle" d'Offenbach, le bis choisi par le chef, en offre la promesse la plus émouvante.

(1) Luc Héry est l'excellent premier violon de l'ONF.
(2) L'ordre des Lieder fut arrêté à la création de l'œuvre (posthume).


Concert disponible pendant six mois sur les sites de France Musique et Arte Concert.

Programme complet de l'Auditorium de Radio France :
>> maisondelaradio.fr

>> Programme de l'Orchestre National de France

Christine Ducq
Mardi 12 Septembre 2017

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Concerts | Lyrique







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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
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Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

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