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Lyrique

Mythes et Mystères au Festival d'Ambronay

Depuis le 11 septembre et jusqu'au 4 octobre, la 36e édition du Festival d'Ambronay, une des plus anciennes manifestations dédiées à la musique baroque, déploie ses fastes en programmant la fine fleur des ensembles et solistes d'aujourd'hui.



Les Surprises © Bertrand Pichene.
Les Surprises © Bertrand Pichene.
Au cœur du département de l'Ain, au pied des contreforts du Bugey, le vieux village d'Ambronay possède l'une des plus jolies abbayes bénédictines depuis sa fondation par un chevalier de Charlemagne au XIe siècle. Avec son abbatiale pittoresque, le lieu est un écrin de choix pour le Centre culturel de rencontre d'Ambronay, avec sa résidence d'artistes et ses autres activités comme son Académie, un label discographique (qui fête ses dix ans) et un festival d'automne réputé dans toute l'Europe.

La 36e édition s'est ouverte avec un récital Haendel donné par le contre-ténor Franco Fagioli, donnant le ton à ce cru 2015 placé sous la double conjonction cosmogonique des "Mythes et Mystères" du monde baroque. Tout au long des quatre week-ends (allongés) du festival, les grandes figures mythologiques tels Orphée, le Roi Arthur ou encore Hercule sont à l'honneur dans la programmation à destination du public - y compris des jeunes.

En ce deuxième temps du festival d'Ambronay, les 19 et 20 septembre, où les visiteurs des journées du patrimoine se confondaient avec les mélomanes avertis ou occasionnels, quelques beaux moments de musique furent l'occasion de rendre grâce aux Olympiens et à leurs aèdes. Après deux ans de résidence dans ce même lieu, l'ensemble Seconda Pratica offraient avec leurs Polyphonies ibériques un beau voyage dans le répertoire des cancioneros des XVe au XVIIe siècles.

Les Surprises © Bertrand Pichene.
Les Surprises © Bertrand Pichene.
L'ensemble La Fenice et les solistes et chœur de Vox Luminis donnaient une version concentrée et enlevée du semi-opéra de Purcell, "King Arthur" (1). Loin du drame terrible qu'a popularisé Ariane Mnouchkine dans son film sur Molière avec un Air du Froid funèbre (devenu un hit mondial peu de temps après grâce à Klaus Nomi), les artistes emmenés par Jean Tubéry rendaient à l'œuvre sa clarté ludique et burlesque, son caractère d'aimable divertissement tout à la gloire du pays des Angles. Avec un ensemble léger réduit à un quatuor à cordes, les bois et deux trompettes, et grâce au talent des baryton et basse Victor Sicard et Lionel Meunier, la soirée débutait de façon guillerette.

Le concert de la nuit fut l'occasion de retrouver le talentueux ensemble Les Surprises, fondé par Juliette Guignard (à la viole de gambe) et Louis-Noël de Camboulas (clavecin et orgue), avec leurs complices, dans de très belles "Mysterien Kantaten" (2) du XVIIe siècle. Dans l'intimité du chœur de l'abbatiale, le baryton Étienne Bazola faisait revivre le "De Profundis Clamavi" de Nicolaus Bruhns, avec une vraie distinction et son habituelle sensibilité pour cette méditation tirée du Psaume 130. Le choc de la soirée fut la découverte de la jeune soprano Maïlys de Villoutreys à la ligne de chant idéale et au timbre cristallin, stupéfiante de grâce et d'expressivité dans le répertoire vocal de Dietrich Buxtehude.

Le Banquet Céleste © Bertrand Pichene.
Le Banquet Céleste © Bertrand Pichene.
C'est donc avec une joie immense que le public put l'entendre à nouveau le lendemain, avec le si bien nommé Banquet Céleste du contre-ténor Damien Guillon, dans quatre des cantates de Bach composées entre Weimar et Leipzig (3). Son timbre assurément céleste se mariait alors à la perfection à l'irrésistible voix du fondateur de l'ensemble. Dénuée des afféteries pénibles à l'oreille de certains de ses confrères, la voix de Damien Guillon rappelait qu'on n'avait pas entendu pareille splendeur depuis Andreas Scholl. À noter aussi l'extraordinaire performance du violoniste Baptiste Lopez.

Pour autant, le Festival d'Ambronay continue et promet encore de belles heures d'émotion avec, entre autres, une "Passion selon Saint-Marc" de Bach reconstituée par Itay Jedlin, une Messe à quarante voix de Striggio rappelée à la vie par Hervé Niquet et son Concert Spirituel, mais aussi Jordi Savall ou les Arts Florissants. Si vous avez raté le concert "Aashenayi" par le Canticum Novum d'Emmanuel Bardon, faisant dialoguer Orient et Occident (avec des musiques ottomane, persane, arménienne, européenne, le 23 septembre), précipitez-vous sur leur CD enregistré justement sous le label Ambronay. Cette belle rencontre musicale (ou "aashenayi" en persan) entre des musiciens traditionnels et baroques est une des plus intéressantes parutions discographiques du printemps.

Le Banquet Céleste © Bertrand Pichene.
Le Banquet Céleste © Bertrand Pichene.
(1) Concert diffusé le 20 octobre à 19h sur France Musique.
(2) Concert diffusé le 15 octobre à 14h sur France Musique.
(3) Concert diffusé le 16 octobre à 14h sur France Musique.


Du 11 septembre au 4 octobre 2015.
Festival d'Ambronay, 04 74 38 74 00.
Centre culturel de rencontre d'Ambronay.
Place de l'Abbaye, Ambronay (01).
>> ambronay.org

● "Aashenayi - Rencontre musicale en terre ottomane".
Canticum Novum - Emmanuel Bardon, direction.
Label : Ambronay Editions.
Distribution : harmonia mundi.
Sortie : 21 avril 2015.

Christine Ducq
Samedi 26 Septembre 2015

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Concerts | Lyrique







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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

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Bruno Fougniès
15/10/2023