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Théâtre

Comme un bouleversement à venir, comme autant de gouttes de conscience offertes…

"Ceux qui errent ne se trompent pas", Théâtre de la Cité Internationalle, Paris

C'est l'histoire d'un jour de vote anxieux et pluvieux, sans âme citoyenne qui vote. Sous le déluge (il pleut étonnamment ce jour là, même le climat s'y met…), c'est un naufrage démocratique qui s'annonce. Mais qui chavire quand advient l'invraisemblable…



© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Celui d'une foule, invisible, bravant les éléments, accomplissant, à la propre surprise de chacun, un miracle démocratique. Celui d'un plébiscite pour le vote blanc effectué en toute tranquillité. Ni. Ni. Les effets sont dévastateurs.

La pièce de Kevin Kreiss et Maëlle Poésy, "Ceux qui errent ne se trompent pas" (tirée du roman "La lucidité" de José Saramago), a une dimension de fable, de satire assumée. Elle rend compte de l'état de surprise, de l'état d'inquiétude qui s'empare d'une équipe gouvernementale. Confronté à un fait bien réel, insaisissable, qui remet en cause les règles établies, ce gouvernement, qui concentre les pouvoirs comme autant de vanités, ne peut plus écrire ses scénarios du possible ou agiter des virtualités que l'on esquive.

La foule des électeurs restant, indiscernable, ne pouvant être discriminée, la machine d'intimidation, d'inquisition et de répression s'avère inappropriée. Dans la paranoïa qui se propage, tout finit par ressembler à sa propre caricature et se dilue.

Sans avoir fait Sciences Po, le spectateur sent qu'il y a comme une réminiscence de la Nuit du Quatre Août, de la fuite à Varennes ou du Siège de Paris quand la capitale se voulait Commune. Dans "Ceux qui errent ne se trompent pas ", il est question de la crise de la représentativité, de la légitimité du pouvoir, du tâtonnement pour trouver du sens. De l'irruption du Réel. Et de son Invisibilité. De son Innommé.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Drôle et lucide, la pièce avance sur les lisières de la représentation. Mêlant sens de la chorégraphie, de l'image et du dialogue concret, la mise en scène, avec rythme, vigueur et légèreté, enchaîne, fond les scènes et les techniques. Les réunions de ministres prennent l'allure de vaudevilles. De simples comptes rendus vidéo retransmis sont reportages d'épopée.

Joignant le geste à la parole, la scénographie fait tomber des tonnes d'eau sur le plateau, apportant force liquidités, donnant double sens à chaque mot prononcé. Quand le pouvoir reçoit une douche, il perd pied, vit un naufrage, il se noie, il prend la fuite. Etc, etc.

Le spectacle, jouant sur tous les tableaux, libère force métaphores et métonymies. Fluide, plein d'humour, plein de ces "légatos" qui créent des connivences avec le public.

C'est ainsi que les facettes d'une banale boule tango recevant un trait de lumière bleue semblent distribuer comme autant de gouttes de conscience offertes à chaque spectateur.

Généreuse et poétique, la pièce développant les symboliques du blanc est un conte civique qui, en creux, traite de la liberté, du désir de justice, du bon ordre, du courage, de la loyauté. Et avant tout d'un phénomène mystérieux qui transmute l'individu et la foule en Peuple Souverain. Quand par le meilleur de lui-même, en un Rêve paisible et puissant, en un instant critique, dans l'isoloir apparaît la Nation.

Comprenne qui pourra. "Ceux qui errent ne se trompent pas" sonne, en écho subliminal , comme un historique "Nisi romanum nisi germanicum francum sum"*, fondateur et ouvert sur l'avenir.

*Ni (inféodé à l'empire) romain, ni (appartenant aux tribus des) germain(s) je suis franc (affranchi, libre, direct, juste, loyal).

"Ceux qui errent ne se trompent pas"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Texte : Kevin Keiss en collaboration avec Maëlle Poésy.
D'après le roman "La Lucidité" de José Saramago.
Traduction française : Geneviève Leibrich, parue aux Éditions du Seuil et Points.
Mise en scène : Maëlle Poésy.
Avec : Caroline Arrouas, Marc Lamigeon, Roxane Palazzotto, Noémie Develay-Ressiguier, Cédric Simon, Grégoire Tachnakian.
Dramaturgie : Kevin Keiss.
Scénographie : Hélène Jourdan.
Lumière : Jérémie Papin.
Son : Samuel Favart-Mikcha.
Costumes : Camille Valla.
Vidéo : Victor Egea.
Construction et régie générale : Jordan Deloge.
Costumières : Chantal Bachelier et Juliette Gaudel.
Création Compagnie Crossroad.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
A été créé à l'Espace des Arts, Scène nationale Chalon-sur-Saône, du 10 au 12 mai 2016.

Du 21 au 23 mai 2016.
Samedi à 18 h, dimanche à 15 h et lundi à 19 h.
Festival Théâtre en Mai.
Théâtre Dijon Bourgogne, Centre dramatique national, Dijon (21), 03 80 30 12 12.
>> theatre-en-mai-2016

Du 5 au 16 décembre 2016.
Lundi, mardi, vendredi à 20 h, jeudi et samedi à 19 h, dimanche à 16 h.
Théâtre de la Cité internationale, Paris 14e, 01 43 13 50 50.
>> theatredelacite.com

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
● 70e Festival d'Avignon ●
Du 6 au 10 juillet 2016.
70e Festival d'Avignon.
Du mercredi au dimanche à 15 h.
Théâtre Benoît-XII, 12, rue des Teinturiers, Avignon (84).
>> festival-avignon.com

Tournée 2016-2017
5 novembre 2016 : La Piscine, Théâtre Firmin-Gémier, Châtenay-Malabry (92).
17 au 19 novembre 2016 : Théâtre du Gymnase-Bernardines, Marseille (13).
1er et 2 décembre 2016 : Le Granit, Scène nationale-Belfort, Belfort (90).
Décembre 2016 (en cours) : Théâtre de la Cité Internationale, Paris 14e.
10 > 11 janvier 2017 : Théâtre-Sénart, Scène nationale de Sénart, Lieusaint (77).
Janvier 2017 (en cours) : Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, CDN, Sartrouville (78).
26 janvier 2017 : Le Phénix, Scène nationale, Valenciennes (59).
31 janvier 2017 : Le Rive Gauche, Saint-Étienne-du-Rouvray (76).

Jean Grapin
Jeudi 19 Mai 2016

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© Jean-François Delon.
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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

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Bruno Fougniès
15/10/2023