La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Coin de l’œil

Dark Shadows : quintessence burtonienne

Complément idéal de l’exposition qui lui est consacrée à la Cinémathèque, "Dark Shadows" synthétise le cinéma de Tim Burton : un feu d’artifice créatif, une symphonie gothique et romantique, une ode amoureuse au cinéma fantastique populaire, un plaidoyer débordant d’humour pour les héros à côté de la plaque de la "normalité". Chef d’œuvre.



© Warner Bros.
© Warner Bros.
Tim Burton aura beaucoup fait pour l’édification des spectateurs français peu familiers avec la culture populaire américaine. Avec le subtil et très touchant "Ed Wood", il leur fit découvrir l’univers intime d’Edward Wood Jr, réalisateur-producteur-scénariste-acteur-monteur de nanars défiant toutes les lois de la logique et du bon goût - dont "Plan 9 from Outer Space", entré dans l’histoire du cinéma avec la palme de "plus mauvais film de tous les temps" -, mais portés par la passion et la folie de leur "auteur". Avec "Dark Shadows", c’est au tour du beaucoup plus sérieux Dan Curtis d’être présenté au public.

Dan Curtis, c’est un peu comme Rod Sterling, le père de "La Quatrième dimension" : un incontournable de la télévision américaine. Producteur-réalisateur prolifique des années soixante-dix, on lui doit un nombre conséquent de téléfilms fantastiques explorant aussi bien les grands classiques - un "Dr Jeckyll and Mr Hyde" et un "Dracula", tous deux avec Jack Palance, un "Portrait de Dorian Gray" avec le blondinet Shane Briant, un "Tour d’écrou" avec Lynn Redgrave - que les sombres chemins de traverse - les deux anthologies à sketches "Dead of Night" et "Trilogy of terror".

© Warner Bros.
© Warner Bros.
Mais, surtout, le nom de Dan Curtis est à tout jamais attaché à la série "Dark Shadows", un soap opera comptant les mésaventures d’une famille de vampires, sorcières et loups-garous, tout au long de quelques 1 225 épisodes diffusés entre 1966 et 1971… De cet équivalent de "Dallas" où le verre de sang remplacerait la bouteille de scotch, seule la première adaptation cinématographique, "House of Dark Shadows", nous est parvenue, sous le titre "La Fiancée du vampire". Une petite perle que quelques forcenés amateurs de canines pointues traquèrent inlassablement dans les doubles programmes du Brady et du Colorado…

C’est donc à ce monument de la télé pour ménagères de moins de cinquante ans et de pré-ados sortant de l’école - "Dark Shadows" était diffusé l’après-midi - que s’attaque Tim Burton. Sans surprise, avec un profond respect pour l’œuvre originale - Burton faisait sans aucun doute partie des téléspectateurs assidus de la série -, il la plie à son univers et à sa fantaisie créatrice, pour en faire un petit bijou gothico-romantique à l’humour ironique. Loin de la pure comédie déjantée que pouvait laisser supposer la bande-annonce, son "Dark Shadows" nous transporte au pays des architectures torturées, des paysages nocturnes surgis d’un rêve noir, des mers déchaînées qui frappent les falaises, des coups de tonnerre qui déchirent le ciel, des amants maudits qui se poursuivent à travers les siècles et des apparitions spectrales qui glissent dans les couloirs de manoirs poussiéreux.

© Warner Bros.
© Warner Bros.
Au cœur de ce concentré d’atmosphère gothique, la famille Collins, donc. Barnabas (Johnny Depp), en premier lieu, aristocrate du vieux continent transformé en vampire au XVIIIe siècle par une amoureuse éconduite adepte de la sorcellerie, et qui se réveille d’un sommeil forcé de deux siècles en pleines années psychédéliques. Incongru et détonnant dans un monde qu’il ne comprend pas toujours très bien - comme tout héros "burtonien" qui se respecte -, il entreprend de rendre à son clan, désormais mené par la très vigilante Élisabeth (Michelle Pfeiffer), le lustre passé. Petit problème : Angélique (Eva Green), la sorcière vindicative, est toujours là. Et elle n’apprécie ni le réveil intempestif de son souffre-douleur préféré, ni l’arrivée soudaine à Collinwood Mansion de Victoria, réincarnation au grain de beauté près de Josette DuPres, l’amour perdu de Barnabas…

Subtil cocktail de poésie, de folie macabre, d’humour et de romantisme échevelé, parsemé de références qui sont autant d’hommages sincères, alternant dans un équilibre parfait gags surréalistes et envolées romantiques, "Dark Shadows" est un pur distillat de ce qui fait le cinéma de Tim Burton. S’il est difficile de dire qu’il signe ici son meilleur film - la sentence est forcément subjective, d’autant que sa carrière n’est heureusement pas terminée et qu’on espère qu’il en fera beaucoup d’autres de la même qualité, voire, on peut rêver, encore plus accomplis -, c’est en tout cas son plus "complet", et celui qui le définit le mieux comme créateur.

© Warner Bros.
© Warner Bros.
On y trouve, porté à l’incandescence, tout ce qui constitue sa "patte". Ces personnages éternellement hors normes, bien sûr, qui pullulent dans la famille Collins et son entourage, ce goût pour les situations où les vrais monstres ne sont pas ceux qu’on désigne comme tels, cet amour d’un cinéma graphique, qui parle aux yeux, au cœur et aux tripes, cette intelligence acérée des rapports humains et sociaux, cette tendresse amusée, mais dénuée de toute nostalgie qui en ferait un "ailleurs" plus accueillant, pour des époques révolues - ici les années soixante-dix -, ces moments de pure dinguerie assumée, qui prennent le récit à contre-pied - la scène de coït vampire-sorcière, qui, bien qu’au fond parfaitement logique eu égard aux pouvoirs et à la personnalité des deux partenaires, semble jaillie d’un cartoon… Tout, dans "Dark Shadows", porte la marque de Tim Burton. Si l’on adhère à son univers à nul autre comparable, si, comme lui, on porte dans sa mémoire cinématographique des souvenirs de créatures ténébreuses et charismatiques, d’icônes de l’écran inconnues ou méprisées des cinéphiles comme-il-faut, on aura du mal à s’arracher aux images qu’il nous offre ici. Et si ce n’est pas le cas, on ne sait pas ce qu’on perd…

© Warner Bros.
© Warner Bros.
● Dark Shadows
Réalisation : Tim Burton.
Scénario : Seth Grahame-Smith, d’après la série de Dan Curtis
Directeur de la photographie : Bruno Delbonnel.
Avec : Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Eva Green, Helena Bonham Carter, Bella Heathcote, Jackie Earle Haley, Johnny Lee Miller, Chloë Grace Moretz.
En salles depuis le 9 mai 2012.

Gérard Biard
Mercredi 23 Mai 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023