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Théâtre

"Un divan pour la scène" : une proposition maladroite entraînant une confusion des genres et des intentions

"Un divan pour la scène", Théâtre le Funambule, Paris

Un divan pour la scène se présente comme une pièce à tiroirs avec de multiples intrigues. Se profilent les relations sociales qui existent entre les différents personnages, mais qui questionnent également les rapports qui se nouent entre les entités représentées : la patiente avec le thérapeute, la comédienne avec le metteur en scène, la femme avec l'homme et vice-versa, etc.



© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Une femme vient consulter un psychologue. À peine assise lui explique-t-elle qu'elle ne sait pas bien la raison qui l'a poussée à prendre rendez-vous. Elle tente de parler d'elle, n'y arrive pas. Depuis quand ressent-elle cette difficulté à s'exprimer ? Depuis l'adolescence. Dans la vie, Colombe est comédienne. Le parallèle effectué entre le monde du théâtre et celui de la psychologie est très intéressant. Au théâtre, on se désincarne soi-même pour pouvoir incarner l'autre. On abandonne notre personne pour devenir un personnage. On joue à être quelqu'un d'autre, qui a une autre vie, d'autres pensées et d'autres rêves. On échappe à soi-même.

La mise en scène est simple et explicite. Deux fauteuils que les comédiens déplacent pour changer d'atmosphère et de situation. Face au public, au centre de la scène et proches l'un de l'autre pour dessiner le cabinet intimiste d'un psychanalyste. La position des sièges reste la même mais le professionnel prend la place du patient lorsqu'il rencontre son superviseur. Les psychologues aussi ont besoin de se confier et d'être conseillé, que ce soit dans leur vie privée ou professionnelle. Les fauteuils sont ramenés de part et d'autre de la scène pour figurer l'espace de jeu du plateau. Le fictif se calque sur le réel.

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Colombe travaille le rôle d'Elvire, personnage de la pièce "Dom Juan". Elvire, c'est l'amante trahie et abandonnée par celui qu'elle aime, qui décide d'entrer au couvent pour sauver son âme. Elle prie Dom Juan de bien vouloir se repentir pour son salut. Le metteur en scène et la comédienne en sont au moment où la femme blessée implore l'amoureux perdu. Les avis sur l'interprétation des sentiments et de la volonté d'Elvire à ce moment divergent.

L'un voit en elle une femme qui ne cesse d'être dominée par sa passion et qui cherche à retourner auprès de Dom Juan ; l'autre est persuadée qu'il n'en est rien, qu'elle a tiré un trait sur leurs relations et qu'elle ne cherche qu'à lui faire entendre raison. Avec le personnage d'Elvire et le lien qui existe avec Dom Juan, on se rapproche de l'image que Colombe se fait d'elle-même et de son rapport avec les hommes.

Au fil du récit psychanalytique, la figure du metteur en scène semble se transposer à celle de Dom Juan, homme égoïste et manipulateur qui ne vit que pour son bon plaisir sans se soucier des autres. Si tel était l'objectif de la pièce, de façonner un personnage qui reprend les traits de ce célèbre séducteur, il aurait probablement dû le faire transparaître plus explicitement dans les intentions d'Erwann envers Colombe. Là, nous n'apercevons qu'un simple flirt anodin entre deux adultes et la réaction de Colombe nous semble disproportionnée et incompréhensible.

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Certains choix de mise en scène gênent quant à l'appréhension du spectacle. Nous sommes dans une comédie analytique où tous les personnages sont dotés de traits psychologiques crédibles. Pourtant, Julia paraît tout droit sortie d'un autre spectacle. Elle n'est pas naturelle ; elle exagère tout : sa façon de parler, de marcher et de se comporter. Elle nous donne l'impression qu'il existe deux directions d'acteurs pour cette même pièce, deux directions relativement opposées.

La pièce débute sur un bon jeu d'acteur, où chacun campe son personnage avec aisance et pertinence. Les transitions entre les différentes scènes sont rapidement et parfaitement effectuées. Mais l'on a le sentiment que les comédiens se sont perdus en chemin et ont pris des routes différentes les unes des autres. Naturel, comique, caricatural, extraverti, sobre, dramatique… les genres se bousculent. Les intentions du metteur en scène ne sont pas assez nettes pour le public parce que peut être trop évidentes pour celui qui est à la fois auteur, acteur et organisateur.

"Un divan pour la scène"

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Texte : Jean-Luc Solal.
Mise en scène : Jean-Luc Solal, assisté de Bérengère de Pommerol.
Avec : José Da Silva, Grégory Ondet, Olga Shuvalova, Jean-Luc Solal, Claire Tatin.
Scénographie : Olivier Prost.
Musique originale : Patrick Rivière.
Costumes : Alexia et Marylin.
Créatrice lumières : Catherine Richaud.
Compagnie Théâtre de la Promesse.
Durée : 1 h 50.

Du 6 septembre au 29 octobre 2017.
Du mercredi au samedi à 19 h (semaines paires) ou 21 h (semaines impaires),
dimanche à 19 h.
Théâtre Le Funambule, Paris 18e, 01 42 23 88 83.
˃˃ funambule-montmartre.com

Ludivine Picot
Mardi 10 Octobre 2017

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