La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Le Godot de Laurent Vacher : une comédie où vibre le plaisir du temps qui passe

"En attendant Godot", Théâtre Jean Arp, Clamart

Wladimir dit Didi et Estragon dit Gogo, rustres, balourds, sont deux va-nu-pieds, deux vauriens qui, en un lieu de nulle part, parlent et sentent mauvais… Sans domicile connu, ils n'ont rien...



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Selon les propres mots de Laurent Vacher qui met en scène "En attendant Godot" de Samuel Beckett, ils ne font rien... "Sinon manger, mentir, se battre, discuter, s'oublier, rire, chanter, souffrir, pleurer, tomber, attendre, aimer, respirer, craquer, se bousculer, reculer, danser, contempler, détester, vivre et probablement un peu mourir. Il se passe trop de choses pendant que l'on attend Godot."

Et c'est toute la réussite de cette mise en scène et du jeu de ces acteurs que de rendre lisible l'œuvre et d'animer l'espace et le temps de la représentation, d'animer les personnages.

Pour un regard extérieur au lointain, ils sont des moins que rien dans leur maladresse, leur danse de l'ours, leurs chutes tangentes. Ils prêtent à rire. D'un rire qui pourrait être moqueur si une forme de retenue dans le jeu ne retenait l'attention du spectateur. Inséparables, atteints de gémellité complice, ils se réchauffent l'un l'autre, s'exercent à vivre dans des chorégraphies de rire, d'avant rire. Au pied de l'arbre sec. Prêts pour une potence sous les railleries.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Ils sont clownesques à l'instar de Clown Joey (Joseph Grimaldi), ivrogne sur son banc qui faisait peur aux enfants. Déjà cloches, Wladimir et Estragon, sous leurs chapeaux melons, sont prêts à travailler du chapeau.

Sous l'éteignoir du temps qui passe, ils fléchissent, se réfléchissent en clone de music-hall. Wladimir et Estragon se projettent en effet dans le couple de Pozzo et Lucky qui passe par là (énièmes avatars de Foottit et Chocolat). Eux aussi sont rendus inséparables par des liens concrets de domination et d'assujettissement. Même si des signes de révolte et de dépendance apparaissent. Montrés comme monstres aux uns et aux autres. Les tours du cirque avant de réfléchir.

Du lointain à la rampe, avec précision, par une succession de modulations du répertoire de clown du cirque, les comédiens montent de l'archétype qui renvoie les personnages à leur obscurité au sourire fugace qui les conduit à leur humanité.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
La comédie sur fond de drame vibre bienveillante et renvoie au spectateur, au public que nous sommes, la résolution de l'énigme qui taraude et charpente la pièce.

Dans l'histoire de la crucifixion de Jésus rapporté par un seul des quatre témoins, un seul des deux larrons est reconnu par le sauveur.

Le deus ex machina restant obstinément invisible, la question et la réponse se nichent dans la diffraction et la réfraction de sa présence dans chaque élément de la création… Assurément, dans cette proposition scénique qui sert magnifiquement l'œuvre de Beckett, l'effet théâtre bat son plein, apporte le plaisir du temps qui passe en commun.

"En attendant Godot"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Texte : Samuel Beckett.
Mise en scène : Laurent Vacher.
Travail chorégraphique : Farid Berki.
Collaboration artistique à la mise en scène : Charlotte Lagrange.
Avec : Luc-Antoine Diquéro, Pierre Hiessler, Jean-Claude Leguay, Antoine Mathieu, Heidi Zada.
Scénographie : Jean-Baptiste Bellon assisté de Guillemine Burin des Rosiers.
Lumières : Victor Egéa.
Costumes : Marie Odin.
Maquillage et perruques : Catherine Saint Sever.
Tout public à partir de 14 ans.
Durée : 2 h 15.
Compagnie du Bredin.

Du 13 au 24 janvier 2015.
Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20 h 30, jeudu à 19 h 30, dimanche à 16 h.
Théâtre Jean Arp, Clamart (92), 01 41 90 17 02.
>> theatrejeanarp.com

Jean Grapin
Lundi 19 Janvier 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024