La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Crocodile trompeur/Didon et Enée"… Un opéra baroque bousculé !

"Le Crocodile trompeur/Didon et Enée", Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

Dans un rapport décalé à l’opéra de Purcell, les scènes s’enchaînent comme des histoires, des fables qui se rencontrent, se bousculent entre mime, théâtre, chant et opéra. L’humour habille de ses plus beaux effets le spectacle qui se nourrit d’un naturel de jeu.



© Victor Tonneli/Artcomart.
© Victor Tonneli/Artcomart.
Lumières sur scène et dans le public. Un personnage arrive et démarre, comme par effraction, un monologue nourri de naturel, d’une forme de spontanéité qui puise sa source dans un laisser-aller maîtrisé. Le personnage plante son étendard théâtral dans une réflexion "philosophique" sur la musique autour de mesures, de tempo et d’harmonies célestes. Peu ou pas de rapport entre "Didon et Énée" et cette réflexion. Et pourtant, nous sommes dans un théâtre de rapports, d’entre-deux où chaque histoire contée, chaque moment joué est bousculé par un autre moment, une autre histoire, comme un entrelacement de fables qui se bousculent les unes aux autres.

Le spectacle est rythmé par des ruptures scéniques, par des fables théâtrales qui viennent se greffer au mythe de "Didon et Énée", opéra baroque écrit en 1689 par Purcell, et découpent la trame scénographique de moments scéniques forts. La scénographie participe, sans doute pour ce spectacle plus que pour tout autre, à créer une atmosphère particulière, décalée. Le jeu oscille entre fausses improvisations, spontanéité et tensions dramaturgiques. Tout est bousculé, renversé ; la langue de Shakespeare fait irruption pour habiller ensuite la langue de Molière, de façon comique, d’un accent "so british". Le mime débarque, l’humour s’habille de ses plus beaux apprêts, et Énée et Didon sont presque renvoyés dans les coulisses.

© Victor Tonneli/Artcomart.
© Victor Tonneli/Artcomart.
Il y a plusieurs temps, plusieurs moments forts dans le spectacle. Ce sont des temps qui s’ordonnent par rapport à une dynamique de jeu. Douleur, séparation, amour, fausses cascades rythment le spectacle qui donnent à celui-ci différentes couleurs. Les histoires qui viennent s’immiscer dans la trame, appelées "autres matériaux" dans le titre du spectacle, apporte à la trame scénographique de multiples ruptures.

Monologue, duo, situations de groupe, musique et mimes alternent comme des jalons artistiques, les moments du spectacle. Les cartes artistiques sont rebattues continuellement. La scénographie participe aussi par un timbre humoristique à une scène où poulies et tensions font jouer par des mouvements ascendants et descendants des objets avec une synchronisation parfaite. Les équilibres sont précaires, taquinant les déséquilibres, bousculant les rapports de forces qui basculent d’un coup dans un autre rythme ou dans une autre trame.

© Victor Tonneli/Artcomart.
© Victor Tonneli/Artcomart.
D’un mythe, de l’opéra baroque de Henry Purcell, celui-ci est bousculé, truffé de situations nouvelles, timbré d’humour oscillant entre le sérieux d’un opéra et le décalé des situations, entre leur poésie artistique et sa scénographie chargée ou décharnée. Nous sommes à chaque fois entre deux pôles antinomiques mais complémentaires. C’est la rencontre de plusieurs segments artistiques, entre modernité et mythe, entre poésie et prose, entre maîtrise et spontanéité, entre petites histoires et mythe qui se retrouvent au carrefour de la musique, du chant, de l’opéra et du théâtre. Comme une mixture dont chaque composant apporte une odeur musicale, un parfum scénique, un plus artistique.

Il y a aussi ces fausses cascades mimées de façon comique. Les mots s’envolent de la caverne, mis en écho par les comédiens eux-mêmes. Nous sommes dans un théâtre sans artifice, dans un opéra nu où les personnages habillent l’histoire de leur faconde et de leur expressivité. Le comique est autant verbal, corporel que "situationnel". L’opéra de Purcell est pris à rebrousse-poil, dépoussiéré dans une modernité où des battements de cœur, dans une scénographie d’hécatombes, sont relayés par un micro. La scène s’habille de ce souffle cardiaque dans une scénographie où la guerre a fait irruption. Les bruits de la vie côtoient le silence de la mort. Tout est bousculé dans le spectacle, tout est fait par effraction. Le jeu est construit mais respire par intermittence de naturel. L’émotion s’immisce de la partie avec toutefois une fin de spectacle manquant de "dynamisme".

"Le Crocodile trompeur/Didon et Énée"

D’après "Didon et Énée" de Henry Purcell et d’autres matériaux.
Mis en scène : Samuel Achache et Jeanne Candel.
Arrangement musical collectif.
Direction musicale : Florent Hubert.
Direction chorale : Jeanne Sicre.
Scénographie : Lisa Navarro.
Avec : Matthieu Bloch, Judith Chemla, Vladislav Galard, Florent Hubert, Clément Janinet, Antoine Kahan, Olivier Laisney, Thibault Perriard, Jan Peters, Jeanne Sicre, Marion Sicre, Marie-Bénédicte Souquet et Lawrence Williams.
Construction décor : François Gauthier-Lafaye, Didier Raymond, Pierre-Guilhem Costes.
Lumières : Vyara Stefanova.
Costumes : Pauline Kieffer.
Durée : 1 h 55.

Du 27 décembre 2013 au 12 janvier 2014.
Les 27, 28, 31 décembre et les 2, 3, 4, 7, 8, 10 et 11 janvier à 20 h 30, dimanche à 16 h.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

Tournée :
31 mars et 1er avril 2014 : Théâtre Firmin Gémier - La Piscine, Châtenay-Malabry.
4 et 5 avril 2014 : Sortie Ouest - domaine départemental d’art et de culture, Béziers.
9 et 10 avril 2014 : La Comète - Scène nationale de Châlons-en-Champagne.
16 et 17 avril 2014 : Théâtre des Salins - Scène nationale de Martigues.
22 au 24 avril 2014 : Le Trident - Scène nationale de Cherbourg.
29 et 30 avril 2014 : Forum Meyrin, Genève (Suisse).
12 et 13 mai 2014 : Espace Malraux - Scène nationale de Chambéry et de la Savoie.
16 et 17 mai 2014 : Théâtre de la Renaissance, Oullins.
20 et 21 mai 2014 : Théâtre de Villefranche-sur-Saône.
26 et 27 mai 2014 : Festival Théâtre en Mai, Théâtre Dijon Bourgogne.
3 au 5 juin 2014 : CNCDC, Châteauvallon.

Safidine Alouache
Lundi 6 Janvier 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024