La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

Shiganè naï… entre modernité et tradition coréennes

"Shiganè naï", Théâtre national de Chaillot, Paris

Dans le cadre de l'année France Corée et des quatre programmes "Focus Corée" présentés à Chaillot, José Montalvo, avec la "National Dance Company of Korea", allie modernité et tradition dans une approche chorégraphique légère et poétique.



© Jeon Kang-in.
© Jeon Kang-in.
"Shiganè naï" (âge du temps)… le titre est suffisamment révélateur. José Montalvo prend le Temps comme pendule pour lier le présent au passé autour de musiques, de costumes et d'une gestuelle où la retenue, la grâce et le maintien théâtral sont des éléments chorégraphiques importants.

Le spectacle débute avec, en arrière-scène, un ensemble de tambours sur lesquels les danseuses jouent des percussions de façon très rythmée. Le tambour réapparaît au fil du spectacle donnant, par le biais de celui-ci, une résonance particulière à un art corporel gracieux à l'aide d'un rythme qui l'est moins. C'est cette dichotomie qui installe la danse coréenne, sous couvert d'une gestuelle à la fois très simple dans ses formes et très élaborée dans ses exécutions, à la jonction de deux rythmes, l'un corporel, l'autre musical, aussi antinomiques que complémentaires.

Le spectacle est composé de trois chorégraphies autour de musiques de Michael Nyman, Arman Amar et de Ravel. À l'exception du Boléro, grand classique toujours intéressant à revisiter, il est étonnant que Montalvo ait choisi des compositeurs français (quoique compréhensible pour l'année France Corée) et anglais (moins compréhensible…), dans le cadre d'une immersion de danses coréennes. Cela laisse un peu perplexe. Les frontières peuvent être brisées, et c'est le rôle de l'Art de le faire, sans toutefois raboter, par un filtre musical seulement occidental, la découverte d'une culture coréenne encore trop peu présente en France.

© Jeon Kang-in.
© Jeon Kang-in.
En arrière-fond, un film projette les mouvements effectués sur scène par les danseurs. La vidéo devient média, support entre passé et présent, tradition et modernité, non dans les mouvements puisqu'ils sont identiques, mais dans les costumes, car modernes à quelques exceptions près sur scène, et traditionnels sur la vidéo.

Les danses puisent dans une tradition où le visage devient masque, car fixe avec toujours un grand sourire. La gestuelle s'appuie sur une fluidité corporelle qui met au centre de chaque mouvement une grâce nourrie de lenteur, d'une décomposition articulatoire des membres où la géométrie est balayée par des arrondis avec des membres supérieurs et inférieurs finissant en forme de virgules. Le pied, avant de se poser à terre, fait une courbure de son haut pour poser son bas avec douceur.

Le Boléro de Ravel débute avec les déplacements des danseurs tout au long de l'arrière-scène dans une demi-obscurité. La chorégraphie est marquée par des contretemps corporels effectués par une danseuse qui se détache du groupe pour faire une gestuelle basée sur le plat des pieds tapotant rapidement le sol, les jambes repliées à moitié. Elle pousse des cris, des sons comme un électron libre se greffant par intermittence, et de façon arythmique, sur la musique et la danse pour ensuite revenir avec force dans le même rythme que le groupe de danseurs appuyant ceux-ci dans leur final.

© Jeon Kang-in.
© Jeon Kang-in.
Tout au long de la chorégraphie, les membres inférieurs des danseurs descendent en souplesse vers le sol pour rebondir en hauteur de façon de plus en plus marquée. Au fil du Boléro, les gestes des bras deviennent beaucoup plus amples, tout en se décollant du corps pour revenir ensuite vers le tronc dans des mouvements souples et arrondis.

Toutes les danses sont soutenues par des cris et des tambours autour d'une gestuelle aux impulsions amples, bien découpés dans les airs, comme si les danseuses étaient des statues de papier, voire des poupées, avec un corps et un visage très théâtraux. Les hommes sont aussi dans une représentation corporelle dans leurs attitudes à l'exception du visage qui est moins théâtralisé que celui des danseuses, bien qu'expressif.

Les déplacements sont lents, comme suspendus au temps, tout en fluidité et se découpent en douceur comme si l'apesanteur était leur cocon. Il y a des cris, des jeux de séduction voire de domination entre danseurs et danseuses, en groupe ou en solo. On se fait peur, on se taquine, on se séduit.

C'est beau et tout en grâce dans des chorégraphies qui s'appuient autant sur la voix et la musique que sur des représentations théâtrales qui font de la danse coréenne, un concentré d'Art et de poésie corporelle.

"Shiganè Naï"

© Jeon Kang-in.
© Jeon Kang-in.
Chorégraphie, scénographie et conception vidéo des parties 1 et 3 : José Montalvo.
Assistant à la chorégraphie : Joëlle Iffrig
.
Répétiteurs : Yun Sung-cheol, Jang Hyun-soo, Kim Mi-ae, Sabine Novel, Fouad Hammani.
Costumes : Han Jin-gook.
Réalisation des costumes : Jung ART, atelier SHIN
.
Maquillage : Kim Jong-han.
Musique : Michael Nyman, Armand Amar, Maurice Ravel.
Arrangements percussions : Shin Chan-sun.
Lumières : Gilles Durand, Vincent Paoli.
Coordination artistique : Mélinda Muset-Cissé.
Infographie : Sylvain Decay, Clio Gavagni, Michel Jaen Montalvo, assistés de Graphic
Design Monocrom.
Collaborateurs artistiques à la vidéo : Pascal Minet, Sylvain Decay.
Traduction, assistant José : Montalvo Kim Sung-te.

Avec les danseurs de la National Dance Company of Korea : Yun Sung-cheol, Jung Gil-man, Lee Se-bum, Park Ki-hwan, Hwang Yong-chun, Kim Byung-jo, Lee Jae-hwa, Kim Hyun-joo, Jang Hyun-soo, Kim Mi-ae, Kim Young-mi, Noh Moon-seon, Park Young-ae, Lee Hyun-kyung, Jeong So-young, Lee So-jung, Kim Euni, Park Mi-young, Park Kee-ryang, Park Ji-eun, Song Ji-young, Park Hye-jee, Lee Yo-eum, An Young-Hwan.
Silhouettes des enfants à l'image : Park Jin-hyung, Jung Yi-sang, Yun Seo-he.
Durée : 1 h 10.

Du 16 au 24 juin 2016.
Mardi, mercredi, vendredi, samedi à 20 h 30, Jeudi à 19 h 30.
Théâtre national de Chaillot, Salle Jean Vilar, Paris 16e, 01 53 65 30 00
>> theatre-chaillot.fr

Safidin Alouache
Mardi 21 Juin 2016

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024