La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

L'ironie de Thomas Bernhard… joyeuse et pertinente… Du reflet comique à la réflexion

"Déjeuner chez Wittgenstein", Théâtre de l'Atalante, Paris

Ils sont frères et sœurs, soudés dans leur fratrie, fermée sur elle-même. Et la folie et la haine transpirent par tous les pores. Le "Déjeuner chez Wittgenstein" de Thomas Bernhard recèle une forte charge dramatique et produit pourtant une puissance comique irrésistible car le texte, finement écrit, est précis dans le réalisme et, virtuose, accumule les obstacles opposés par la vraisemblance littéraire. Excessif comme la vraie vie.



© Nathalie Hervieux.
© Nathalie Hervieux.
Dans cette histoire, il est question de personnages qui vivent à l'ombre des ancêtres, vivent à l'abri du besoin un quotidien monotone. Fortunés. Les sœurs sont comédiennes, propriétaires de leur théâtre. Le frère célèbre philosophe vit à l'asile l'exil qu'il a choisi. Ils se déchirent, et rêvent d'harmonie. La rumeur extérieure les perturbe et les attire.

La pièce décrypte la névrose familiale, ses rites et ses obsessions, développe une critique sociale acerbe. Les mensonges sous les bons sentiments. Les convenances et préjugés de la société bourgeoise, les prétentions artistiques, esthétiques musicales, picturales, les vanités, sont passées au crible d'un texte sans concessions. La pesanteur de certains repas familiaux est poussée jusqu'à la démesure et atteint l'universel.

Dans sa progressivité partant d'un point naturaliste, le texte incite les comédiens à se dépasser et à approfondir les situations concrètes. Le "Déjeuner chez Wittgenstein" est clairement un miroir tendu et théâtralement se veut une comédie selon le point de vue de l'auteur.

© Nathalie Hervieux.
© Nathalie Hervieux.
D'entrée de jeu, la mise en scène d'Agathe Alexis fait partager au spectateur ce point de vue. Par le naturel et la proximité du jeu porté, par délégation et délectation théâtrale, à la complicité d'un grand carnaval familial.

Casser la vaisselle de famille, mettre cul par-dessus tête les figures des ancêtres pour de vrai… manger et recracher des profiteroles… le déjeuner chez le philosophe Wittgenstein atteint un point d'anthologie, un point culminant de la tradition burlesque.

Thomas Bernhard a donné à ses personnages les noms des comédiens qui avaient créé les rôles. Assurément Agathe, Yveline et Hervé, portés par le sens du détail, donnent le meilleur d'eux-mêmes et rendent actuel le propos. Inséparables. Sœurs et frères jumeaux des créateurs des rôles Ritter, Dene, Voss. Avec l'ubris en partage.

Le spectateur, conduit par le désir de transgression des règles que tout un chacun partage, se trouve face à un miroir qui se dilate et se dilue. Il vit ce moment de pure comédie comme un rêve et ne peut qu'applaudir ayant tout compris. L'ironie de Thomas Bernhard est devenue joyeuse et pertinente. Du reflet comique à la réflexion.

"Déjeuner chez Wittgenstein"

Texte : Thomas Bernhard.
Traduction : Michel Nebenzahl.
Mise en scène : Agathe Alexis.
Avec : Agathe Alexis, Yveline Hamon, Hervé Van Der Meulen.
Scénographie et costumes : Robin Chemin.
Réalisations sonores : Jaime Azulay.
Lumière : Stéphane Deschamps.
Chorégraphies: Jean-Marc Hoolbecq.
Collaboration artistique : Alain Alexis Barsacq.
Durée du spectacle : 2 h 10.

Du 9 janvier au 1er février 2016.
Lundi, mercredi et vendredi à 20 h 30, jeudi et samedi à 19 h, dimanche à 17 h.
Représentation supplémentaire dimanche 31 janvier à 20 h 30.
Relâche exceptionnelle le jeudi 21 janvier.
Théâtre de l'Atalante, Paris 18e, 01 46 06 11 90.
>> theatre-latalante.com

Jean Grapin
Vendredi 22 Janvier 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024