La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Bourlinguer"... Jean-Quentin Châtelain, debout, immobile, transmute un éternel retour douloureux en poésie pure

"Bourlinguer", Théâtre du Grand Parquet, Paris

L'homme est debout comme fonte en fusion. Jean-Quentin Châtelain, les pieds plantés en terre, la tête dans les étoiles, contemple Naples, cette baie de carte de postale avec son volcan immobile et son pin maritime qui veille sur le tombeau de Virgile*...



© Carole Parodi.
© Carole Parodi.
Il est Blaise Cendrars qui raconte le début de son histoire, celle de sa petite enfance d'où tout commence, d'où tout part. Où il revient à vingt ans, blessé, pour avoir fait la contrebande de perles. Cachées dans une canne flexible décorée de roses gravées. Une épine d'Ispahan. Une épine aussi dans le souvenir.

Car l'auteur est hanté par ce paysage. Naples fut bucolique alors qu'il ne le savait pas. Alors qu'un coup de feu d'un chasseur anonyme tua sous ses yeux Élena. Et que l'amour comme un brutal arrachement fut coupé à sa racine. Alors que lui était apportée, trop tard, la preuve de la naissance de l'amour partagé.

Épreuve d'une vie qui souffle l'impossible retour à un âge d'or. Du paysage qui accompagna Élena, l'auteur en connaît trop les dessous et les puanteurs. Ce retour à Naples est le point de cristallisation d'une crise qui ne pourra se résoudre qu'en une pérégrination ultérieure. Bourlinguer.

Jean-Quentin Châtelain, immobile, semble ne se mouvoir que par le travail des mots. Le comédien se nourrit des mots. Incorpore ce qui grouille et résiste à son être. Jusqu'à l'émerveillement. Comme, au pied du Vésuve, le tracé d'une charrue fait jaillir les terres fertiles du Vomara. en évacuant des puanteurs de soufre. Comme une pointe d'épine de rose d'Ispahan, rose du poète, fait disparaître la douleur en perçant les bubons du passé.

Dans un fascinant phénomène d'amplification, comme une puissance tellurique, Jean Quentin Châtelain est debout et avec les moyens de la littérature et de la scène transmute un éternel retour douloureux en poésie pure.

Il est une sculpture de Rodin prête à accompagner celle de Virgile.

Le spectateur reste saisi. Avant d'applaudir à tout rompre.

*Virgile : Immense auteur latin qui écrivit sous Auguste, les "Bucoliques", les "Géorgiques" et "l'Énéide".

"Bourlinguer"

© Carole Parodi.
© Carole Parodi.
Texte : Blaise Cendrars.
Adaptation & mise en scène : Darius Peyamiras.
Scénographie : Gilles Lambert.
Jeu : Jean-Quentin Châtelain.
Lumière : Jonas Bühler.
Son : Michel Zürcher.
Compagnie Argos* Théâtre.

Du mercredi 6 mai au 31 mai 2015.
Mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 20 h et dimanche à 16 h.
Théâtre du Grand Parquet, Paris 18e, 01 40 05 01 50.
>> legrandparquet.net

Jean Grapin
Lundi 11 Mai 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024