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Théâtre

Une tragédie clownesque... comme une montée du cynisme

"L'Atelier volant", Théâtre du Rond-Point, salle Renaud-Barrault, Paris

Écrite en 1971 et créée à Suresnes en 1974 dans une mise en scène de Jean Pierre Sarrazac et des décors de Gauvin, "L'Atelier volant", la toute première pièce de Valère Novarina, est pour la première fois mise en scène par l'auteur... Un spectacle qui résonne étonnamment en ce début de vingt et unième siècle.



© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Dans "L’Atelier volant", les acteurs sont montés en spectacle. Sans paillettes, dans l’alternance des rires et des drames, ils sont simples ouvriers employés aux cartonnages et pliages. Habillés en cotte de clown en tissu à bâtir, ils travaillent dans une entreprise d’illusions. Elle se révèle être au bout du compte une entreprise d’escamotage, qui les prive de leurs plaisirs simples, de leur imaginaire, de leur créativité, de leur langage et au final de leur vie. Cette activité qui va croissant est au service d’une production in-sensée d’objets et de mots. Le bénéfice exclusif qui en est retiré semble n’être distribué que pour la seule satisfaction d’un bateleur autoritaire qui, dans la difficile adéquation de l’offre et de la demande, subit les aléas de la marchandisation généralisée. Il disparaît… et renaît métamorphosé en nomade, avatar brechtien ultime et ironique, pour mettre en œuvre une gigantesque tombola. L’ouvrier survivant, nouveau Diogène finit dans un tonneau.

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
La fable fait bien autre chose que faire revivre l’épopée et l’imagerie d’une pittoresque époque (?) qui vivait la montée du marketing, du consumérisme de masse, la fraternité de la grève et l’absurdité du travail. Elle décrit, avec une réelle prescience, un monde économique productiviste, devenu familier, qui pour accaparer les plus-values accélère l’usure et accompagne de multiples perversions et destructions cyniques la transformation de l’objet-rêve en objet produit jetable.

L’œuvre de Valère Novarina interroge particulièrement la production artistique qu'est une représentation théâtrale et par les seuls moyens du spectacle vivant met en branle un étonnant mouvement de déconstruction reconstruction. C’est un apport contemporain, exigeant, réjouissant et convaincant à la critique de la société du spectacle . (Toute ressemblance avec des crises financières et leur story tellings pourrait n’être pas fortuite).

L’écriture est réduite à l’essentiel.

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Le plateau est nu hormis quelques structures et graphismes discrets et monochromes. Les comédiens sont mis dans la posture d’acteurs de plateau de tournage de films à effets virtuels. Dépouillés de tout accessoire, ils prennent le statut d’ouvriers de l’industrie de l’image et, s’agissant de théâtre, sont poussés du fait de leur neutralité d’apparence à une expressivité entière et immédiate.

Dégagé de tout jeu illusionniste pittoresque ou vériste, le spectacle développe une forme qui, dans la manière de faire, condense dans l’univers du spectacle un modèle économique traditionnel et en miroir, en stricte concomitance, son contre-modèle farcesque. Les signes théâtraux s’en trouvent bousculés. Dans le miroir tendu au public se joue une montée au présent de la représentation et de l’interrogation sur le sens. Le spectateur est ainsi confronté à une discontinuité du récit et à l’usure d’images devenant presque schématiques.

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
II est en revanche accompagné à chaque étape comme à la parade par le jeu du langage, le jeu des images, le jeu des comédiens. Les éléments scéniques glissent en rythme et se conjuguent en une pulsation de clown des plus discrètes et des plus naturelles. Comme une respiration, une libre aspiration à un autre devenir.

Le spectateur se laisse, bien volontiers, prendre au piège à lui tendu. C’est que les comédiens ont une présence chaleureuse. Leur travail agite les imaginaires, libère les imaginations et révèle la force du verbe. L’auteur qui est un penseur créateur de monde et de théâtre sait créer un langage scénique dans toute sa vigueur et tricoter le bonheur d’une durée pleine d’attentions et de "réflexions".

C’est ainsi que dans cette tragédie clownesque, qui décrit, tout en métaphores et avatars, la montée du cynisme, se trouvent noués, comme en un collier de prix, des perles de comédies, de farce, de beauté lyrique (Qu’il serait doux de commenter lors d’une université d’été d’un Medef qui rêve de réenchanter le monde)...

"L'Atelier volant"

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Texte, mise en scène et peintures : Valère Novarina
Avec : Julie Kpéré, Olivier Martin-Salvan, Dominique Parent, Richard Pierre, Myrto Procopiou, Nicolas Struve, René Turquois, Valérie Vinci.
Collaboration artistique : Céline Schaeffer.
Scénographie : Philippe Marioge.
Musique : Christian Paccoud.
Costumes : Renato Bianchi.
Maquillage : Carole Anquetil.
Dramaturgie : Adélaïde Pralon et Roséliane Goldstein.
Philosophie générale : Clara Rousseau.
Stagiaire - assistante à la mise en scène : Marjorie Efther.
Assistante de l'auteur : Lola Créïs.
Durée estimée : 2 h 12.

Spectacle du 6 septembre au 6 octobre 2012.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 15 h (relâche le 9 septembre).
Théâtre du Rond-Point, salle Renaud-Barrault, Paris 8e, 01 44 95 98 21.
>> theatredurondpoint.fr

Tournée :
9 au 13 octobre 2012 : TNP Villeurbanne (69).
17 octobre 2012 : Scène Nationale de Mâcon (71).
23, 24 octobre 2012 : La Coupe d’or, Scène Nationale de Rochefort (17).
7, 8 novembre 2012 : Forum Meyrin, Suisse.
14 au 24 novembre 2012 : Théâtre de Vidy Lausanne, Suisse (relâche le 19 novembre).
27 au 28 novembre 2012 : Espace des Arts, Scène Nationale de Chalon sur Saône (71).
6 au 8 décembre 2012 : Théâtre du Grand Marché, Saint-Denis de la Réunion (97).
16 au 18 janvier 2013 : Comédie de Saint-Etienne (42).
22 au 26 janvier 2013 Théâtre Dijon Bourgogne, Dijon (21).
7 février 2013 : Théâtre de l’Archipel, Perpignan (66).
14 au 16 février 2013 Théâtre Garonne, Toulouse (31)
6, 7 mars 2013 : Le Maillon, Scène Nationale de Strasbourg (67).
12, 13 mars 2013 : Bonlieu, Scène Nationale d’Annecy (74).
19 au 22 mars 2013 TNBA, Bordeaux (33).
4, 5 avril 2013 : Nouveau Théâtre - CDN, Besançon (25).

Jean Grapin
Lundi 10 Septembre 2012

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© Jean-François Delon.
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© Pics.
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© Christel Billault.
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Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023