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Théâtre

● AVIGNON OFF 2016 ● Un dîner… entre éléments d'intrigues imposés (par le spectateur) et improvisation maîtrisée

"Le Dîner", Théâtre de Belleville, Paris

Cinq comédiens et un DJ sont réunis pour affronter les hasards d'un Dîner… dont, soir après soir, le public peut mesurer les variations scéniques à l'infini. Un dispositif unique pour un même thème… "Le Dîner", proposé par le Collectif Jacquerie, repose sur le vieux système du canevas et de l'improvisation.



© Éric Ballot.
© Éric Ballot.
Et miracle, le collectif, tout en multipliant à plaisir les contraintes, se joue de tous les pièges tendus par la tentation histrionique et l'appel d'archétypes trop usés qui sont le risque de l'improvisation contemporaine…
C'est Pain bénit si l'on peut dire pour le théâtre.

C'est ainsi que le public connaît une partie de l'intrigue mais pas tout. Les comédiens, auxquels un vote démocratique des spectateurs impose des éléments d'intrigues, construisent leur propre scénario avec un droit de gommage ou de création et jouent sans connaître la partition de leurs partenaires ! Enfin, un régisseur en position de DJ instrumente l'histoire qui s'improvise ainsi que son espace - temps par le jeu de ses interventions et sa bande son. "Car il n'y a pas de spectacle sans musique".

Terriblement exigeant, le dispositif fondé sur la réalité au temps présent, des actualités du moment, oblige chacun à trouver le comportement adéquat. Chaque comédien se sent "investi d'une mission qui est de rechercher toutes les failles, de mettre en état d'acuité son partenaire tout en ne le déstabilisant pas, de trouver une manière de ne pas jouer pour soi, de jouer pour l'autre, de parler pour le public qui est à la fois dedans dehors." D'aider le spectateur à trouver les méandres de la prestation… "Dans ce théâtre, il n'y a pas de quatrième mur. Le jeu consiste à amener dans l'inconnu."

© Éric Ballot.
© Éric Ballot.
C'est diablement efficace. Le dîner se révèle être une véritable aventure.

Dans cette formule, le spectateur voit comment se développent, s'amplifient les dimensions dramaturgiques du quotidien. Dans les entrefaites de la manducation partagée, entre les étapes d'ingurgitation et déglutition des mets et leurs saveurs, font irruption les savoirs et les secrets cachées. Le bel ordonnancement d'un dîner qui révèle les harmoniques et les dynamiques des uns et des autres peut basculer en scandale et en chaos… Mais pas forcément… Pas toujours.

Du rôti trop cuit au bris de vaisselle, de l'amant retrouvé à l'amante perdue, aux amitiés ressoudées… le rituel social de la table à manger qui stimule la parole et les passions est passé au scanner. Tout est affaire de duos, de duels, de carrés, de trios, de solos : de complicité et d'alliances d'exclusions, de rires, de larmes. Unions et désunions. La vie, en quelque sorte. Avec ses parts d'ombres et ses inaccomplis.

Cette performance (car c'en est une ) nécessite un travail en coulisse intensif et suscite à l'issue de la représentation un vif désir de discussion dans le public. Le spectateur à l'évidence conquis ne peut que revenir et découvrir une nouvelle histoire et la comparer à une précédente. À cette occasion, il découvre par un même comédien des types humains différents et approfondit sa connaissance des comédiens et du jeu .Tout au long de l'aventure il observe un "changement dans le rire qui, du trivial, peut basculer au drame".

© Éric Ballot.
© Éric Ballot.
Il comprend que des archétypes peuvent ne pas lui être imposés comme ceux de la publicité mais dirigés (pour une fois vers lui… le public), peuvent évoluer librement et devenir des caractères et de personnages.

Toujours même et différente, la représentation est réjouissante, stimulante, hautement délassante, grave et émouvante. C'est que la direction d'acteur prend l'épaisseur de la vie et l'on peut soupçonner chaque comédien à bon droit de "se mettre intérieurement dans la peau d'un personnage d'Ibsen histoire de créer la surprise et donner le sentiment d'un spectacle rien que pour vous" : Spectateur.

Le rire est partagé ainsi que la liberté.

En italique : éléments recueillis le 10 septembre lors d'un entretien avec Véronic Joly et Olivier Descargues.
Le critique a vu les toutes premières moutures l'hiver dernier.

"Le Dîner"

Pièce participative improvisée.
Conception et direction d'acteurs : Joan Bellviure.
Avec (en alternance) : Joan Bellviure, Jean-Philippe Buzaud, Olivier Descargues, Véronic Joly, Stéphane Miquel, Maria Monedero, Juliet O'Brien, Richard Perret, Jennie-Anne Walker.
Régie générale : Romy Deprez.
Durée : 2 h.

8, 9 et 10 octobre 2015.
Jeudi et vendredi à 20 h 30, samedi à 19 h.
Théâtre Romain Rolland, Scène Églantine, Villejuif (94), 01 49 58 17 01.
>> trr.fr

Du 11 octobre 2015 au 9 février 2016.
11 et 12 octobre à 20 h, 13 octobre à 18 h 30, 15 novembre à 20 h, 16 novembre à 18 h 30, 13 décembre à 20 h, 14 décembre à 21 h 15, 15 décembre à 18 h 30, 10 janvier à 20 h, 11 janvier à 18 h 30, 12 janvier à 21 h 15, 7 février à 14 h, 8 février à 18 h 30 et 9 février à 21 h 15.
Théâtre de Belleville, Paris 11e, 01 48 06 72 34.
>> theatredebelleville.com

● AVIGNON OFF 2016 ●
Du 7 au 30 juillet 2016.
La Fabrik' Théâtre,
10, route de Lyon, impasse Favot.
Tous les jours à 19 h 35.
Tél. : 04 90 86 47 81.
>> fabriktheatre.fr

Jean Grapin
Jeudi 8 Octobre 2015


1.Posté par Cédric Soulès le 13/10/2015 13:11 (depuis mobile)
J'ai découvert cette création au théâtre Romain Rolland ce 9 octobre. J'ai été soufflé par le brio des comédiens qui nous donnent à voir une pièce improvisée, en respectant les contraintes données par le public. La fuidité de jeu est bluffante.

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© François Vila.
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© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

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