La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

Teatro a Corte... Un écrin pour les petites formes théâtrales contemporaines

Épisode 2 et fin

Le festival Teatro a Corte, en relation avec l'exposition de Milan consacré à la nourriture et au gaspillage des ressources, n'avait pas de caractère boulimique, ne versait pas dans un excès de spectaculaire, faisait fi d'une jouissance hédoniste et goinfre. C'est dans la simplicité que les spectacles proposés ont dialogué entre eux et conversé avec le cadre apaisé dans lequel ils se sont insérés. Le spectateur y trouve alors un fort taux de valeur ajoutée artistique riche en émotions intimes.



"Mas-sacré" © Silvano Magnone et Zeno Graton.
"Mas-sacré" © Silvano Magnone et Zeno Graton.
Voir ce qui n'est plus vu. Retrouver le goût. De glissements en glissements, le spectateur est invité à refuser le mensonge, trouver la bonne mesure, la bonne distance, repérer le ressort de vitalité. De retrouver le sens du bâton et de la caresse puis, par un tour de main, de l'émerveillement. Comme un redécouverte du jeu de Colin-Maillard. Comme une redécouverte amoureuse d'une cuisine traditionnelle. Comme la recherche dans le domaine de la représentation d'une métaphore et non d'une allégorie.

Le spectacle "Mas-Sacré" appelle à un ressaisissement devant la perte du sentiment d'humanité. Il dénonce avec véhémence et sarcasme la démesure et les mensonges du marketing alimentaire. La montée de nausée et d'écœurement n'est pas loin. Au risque pour les acteurs de leur propre obscénité.

La confrontation des archétypes du clown de supermarché, de la nymphe de la publicité à l'image des coulisses de l'industrie de l'élevage et de l'abattage animal est brutale et crue. Elle est édifiante. Les comportements sadiques ou bien infantiles qui découlent de ces imageries révèlent bien un malaise propre à la condition de l'Homme dans ses relations au vivant et à sa propre conscience.*

"Pleurage et scintillement" © Blandine Soulage.
"Pleurage et scintillement" © Blandine Soulage.
Une fois le débat ainsi posé dans une forme de violence, le spectateur, qui s'était rendu dans les jardins du château des anciennes chasses royale "Venaria Reale" pour assister au spectacle "Il falso convitto", a emprunté en douceur un petit train fantôme conçu par Alice Delorenzi et se déplace dans le jardin, de salles sèches en salles sèches, entre deux murs de charmilles.

Usant des subterfuges de la machine théâtrale à vue, de l'opéra et de la marionnette, le parcours se révèle ludique et pédagogique, interpelle le spectateur pour mieux lui révéler avec humour les questions qui taraudent la société face à son gaspillage d'énergie.

Mais pourquoi faut-il que nos bifteck fassent tant de kilomètres et usent tant de litres de pétrole pour arriver dans notre estomac ? Pourquoi enfermons-nous l'élément des nuages le plus léger, le plus limpide, le plus pur, l'eau, dans des bidons de plastic alors que nos publicités vantent sa liberté cascadante ? En renouant avec l'art de la dissimulation et de l'illusion qui caractérise les jardins à la française, la réflexion sur la bonne adéquation avance et se pose en raison.

"Se Voir" © DR.
"Se Voir" © DR.
Lorsque les deux personnages de "Pleurage et Scintillement", la servante du bar (Julia Christ) et le dernier client (Jean-Baptiste André), ressentent un même désir de rencontre mais ne parviennent pas à se rencontrer en dépit de leurs efforts, c'est que le désir ne trouve pas le bon objet. Tout le savoir-faire circassien, les figures de hip hop, les danses de salons, les chutes burlesques avec leurs ressorts comiques composent une chorégraphie fluide qui ne parvient pas à transcender un constat de la solitude. Comme un désir à partager qui ne trouve pas ses voies. De l'impossibilité d'une île. En rade.

Quelque temps plus tard avec "Se voir", le même Jean-Baptiste André, beaucoup plus loin dans un château inachevé (celui de Rivoli), dans un ailleurs de corridor, recherche la mesure de son corps et de ses sentiments dans une vidéo en direct. Absent, présent à la scène.

En revanche, sur le même sentiment de désenchantement et de vide, Sol pico dans "One Hit Wonders" oppose l'ardeur de sa danse à la fois vitale et sublimée au déclin qui lui est annoncé.

"One Hit Wonders" © Rojobarcelona.
"One Hit Wonders" © Rojobarcelona.
En revisitant toute sa carrière espagnole avec humour, son flamenco devient céleste, sa danse classique, dont elle se moque pour la torture quelle inflige aux pieds (ses chaussons sont bien rouges), peut devenir triviale.

Toute technique maitrisée est oubliée, le spectateur goûte l'évidence de son instant. La danseuse enflamme la scène.

Dans "Art of Mlovement", quand le spectateur ajuste sur son nez des lunettes stéréoscopiques, c'est pour mieux relier les mondes. Opposant hologramme et danse réelle, le spectacle recrée les conditions de l'étonnement face au miroir, installe un tableau esthétique, met en œuvre le mystère de l'être et de son ombre. Dans la coulure d'encre de ses éclairages d'aquarelles se découvre le rêve d'un idéogramme.

Dans "Origami", un objet industriel banal est métamorphosé. Un de ces conteneurs qui traversent les océans chargé de tous les produits du monde blanc s'ouvre et se déploie, dévoile une funambule (Satchi Noro) frêle et forte et précise. Et la force s'unit à la fragilité, la pesanteur à la légèreté et, par les liens bien visibles des agrès, le conteneur devient voilier. Elle devient danseuse, éblouissante et gracieuse. Comme une sirène. Une figure de proue qui danse à la crête de vagues. Légère comme un origami, métaphore riche de tous les rêves.

Teatro a Corte s'est déroulé à Turin, cité à la théâtralité démesurée dont l'urbanisme est fait pour des délires de parade et de cavalcade, dans des sites historiques et panoramas de son pourtour, patrimoine de l'humanité. Les petites formes de théâtre contemporain y sont comme bijoux enchâssés.

Révérence.

"Origami" © DR.
"Origami" © DR.
*Il est vrai que cette semaine-là, le lion Cecil devenait à la fois un trophée de chasse et un jouet en peluche, la réalité de l'obscénite.

Festival Teatro a Corte
A eu lieu du 16 juillet au 2 août 2015.
Sur trois week-end : 16 au 19 juillet, 23 au 26 juillet, 30 juillet au 2 août.

>> Les vidéos de l'édition 2015.

Jean Grapin
Mercredi 12 Août 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024