La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Laurence Equilbey, une chef d'orchestre de caractère

Actualité riche pour la chef d'orchestre Laurence Equilbey : elle dirige l'Orchestre de Chambre de Paris pour l'ouverture de la Philharmonie samedi 17 janvier. Et après le succès de son "Requiem" de Mozart à l'automne 2014, un nouveau CD sort le 26 janvier pour une œuvre rare, "Le Désert" de Félicien David avec le jeune ténor Cyrille Dubois nominé aux Victoires de la Musique.



Laurence Equilbey © Julien Mignot.
Laurence Equilbey © Julien Mignot.
Fondatrice du chœur Accentus et de Insula Orchestra, Laurence Equilbey est une femme à la tête bien faite et au caractère trempé. Pianiste de formation et flûtiste, il lui en a fallu pour s'imposer dans un monde presque exclusivement composé d'hommes : celui de la direction d'orchestre. C'est une femme souriante et posée qui me reçoit. Ce qui me frappe immédiatement, c'est son regard pénétrant et clair. On croit deviner à son contact les raisons qui ont poussé le Sénat et le Ministère de la Culture à la choisir comme interlocutrice dans une série de consultations portant sur la (non) mixité et la sous-représentation des femmes dans le monde de la culture et dans les productions artistiques. Elle est également membre d'une commission sur l'égalité au CSA.

Nous commençons par échanger autour des chiffres - accablants - que je viens de découvrir dans la brochure "Où sont les femmes ?" (1) publiée par la SACD et dont elle est l'inspiratrice. Laurence Equilbey commence par déplorer l'incapacité des partenaires publics à faire bouger les lignes malgré le vote d'une loi en août 2014 sur l'égalité d'accès aux moyens de production. La situation est catastrophique. "Un pur scandale !", ajoute-t-elle.

Christine Ducq pour La Revue du Spectacle - Quand vous vous décidez à devenir chef d'orchestre dans les années quatre-vingt-dix, êtes-vous la seule femme ?

Laurence Equilbey - Non, pas du tout ! Mais il y en avait déjà très peu. Actuellement, nous représentons 4 % des chefs d'orchestre programmés - 23 sur 572 (1) -, or nous pourrions représenter plutôt 10 à 12 % de nos jours. Un véritable empêchement s'exerce depuis des siècles sur les femmes dans l'art. Historiquement ce sont des milieux très fermés : la création musicale notamment, les solistes aussi. Aujourd'hui, je pense que si une structure est subventionnée, elle devrait avoir dans son cahier des charges la nécessité de favoriser la progression des femmes dans sa programmation. Pas ou très peu de metteuses en scène d'opéra, c'est un désastre. Les chefs d'orchestre femmes, je n'en parle même pas. Cela n'existe pas ou c'est tout comme ! Aujourd'hui une compositrice (tout aussi rare) a six fois plus de chance d'être programmée aux États-Unis qu'en France. Cette inégalité d'accès existe dans tous les secteurs de la culture. Pourtant, si ce milieu était plus ouvert, la société le serait aussi davantage.

Accentus et l'Orchestre de chambre de Paris © Jana Jocif.
Accentus et l'Orchestre de chambre de Paris © Jana Jocif.
Vous jouissez maintenant d'une large reconnaissance comme chef.

Laurence Equilbey - En effet. Je ne prêche pas du tout pour ma chapelle. Je suis contente : j'ai un agenda bien rempli - j'aimerais pourtant diriger davantage à l'opéra où on trouve non pas un plafond de verre mais un mur en béton armé !

Le chemin a-t-il été difficile pour accéder à cette reconnaissance ?

Laurence Equilbey - Mon cas n'est pas emblématique mais cela a été difficile au quotidien. Parce qu'on doit d'abord lutter contre son propre doute. On nous a tellement dit que ce métier n'était pas fait pour nous les femmes ! On le lit encore tous les jours. Un jeune chef russe a déclaré qu'une femme chef d'orchestre était inenvisageable car elle déconcentrerait les musiciens pour des raisons érotiques ! Et d'autres remarques sexistes dans ce goût-là circulent partout. Jusqu'aux réticences des musiciens eux-mêmes nourris de cette tradition du chef masculin meneur d'hommes. Il m'a fallu de la volonté.

Après le chœur Accentus en 1991, vous avez créé Insula Orchestra composé de jeunes musiciens en 2012. Était-ce pour contourner ces difficultés ?

Laurence Equilbey - Pas du tout. Je désirais m'inscrire dans une démarche similaire à un John Elliot Gardiner, à un Emmanuel Krivine qui ont eu envie à un moment donné de créer un orchestre sur instruments d'époque.

De par ma formation à Vienne et mon travail avec Nikolas Harnoncourt j'adore les répertoires qui vont du baroque aux préromantiques. Pour cette musique, je préfère un orchestre sur instruments d'époque pour ses couleurs musicales, son style. Justement, le conseil général des Hauts-de-Seine souhaitait financer un orchestre pour son nouvel établissement (le futur équipement musical sur l'île Seguin NDLR), ce fut Insula Orchestra.

Orchestre de Chambre de Paris © Jean-Baptiste Millot.
Orchestre de Chambre de Paris © Jean-Baptiste Millot.
Pour un répertoire plus tardif, vous dirigez l'Orchestre de Chambre de Paris...

Laurence Equilbey - J'ai une relation privilégiée avec deux orchestres dits "modernes" : l'Orchestre de Chambre de Paris et l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Haute-Normandie. Ce sont des orchestres de chambre et symphonique. Avec eux, je privilégie le répertoire d'après 1850 et beaucoup de musique romantique française. Je suis aussi invitée par d'autres orchestres symphoniques régulièrement.

Parlez-nous de cette ode symphonique de Félicien David, "Le Désert", que vous avez gravé pour le label Naïve. C'est un compositeur méconnu ?

Laurence Equilbey - Félicien David a peu écrit. Cette œuvre l'a desservi de surcroît en raison de son grand succès en 1844 puisqu'on lui a sans cesse reproché ensuite de n'avoir pas su l'égaler. C'est une rareté que nous avons exhumée avec le Palazetto Bru Zane (2) et qui le mérite.

Vous dirigez un concert d'ouvertures romantiques samedi 17 janvier pour l'inauguration de la Philharmonie de Paris. Pourquoi programmer celle de Fanny Mendelssohn ?

Laurence Equilbey - Dans une démarche un peu militante, je pense qu'il faut jouer régulièrement des œuvres rares du patrimoine. Et Fanny représente un cas particulièrement émouvant comme compositrice empêchée. Elle était aussi douée que son frère Félix mais a été muselée par son père. De son vivant (et elle est morte jeune), elle n'a pu diriger son Ouverture en Ut qu'une fois avec peu de musiciens. C'est une ouverture très vive, efficace, assez rossinienne. Ce concert s'intitule "Ouvrez !". Je souhaite dire ainsi : ouvrons cette belle salle, et ouvrons aussi la porte au répertoire rare, aux femmes, notamment aux compositrices.

Laurence Equilbey © Jean-Baptiste Millot.
Laurence Equilbey © Jean-Baptiste Millot.
Vous avez été à l'origine d'un projet musical original "Private domain. Iko invites" ?

Laurence Equilbey - C'était un chemin de traverse tout à fait personnel. Sous le pseudo Iko - pour iconoclaste -, j'ai voulu enregistrer des airs baroques avec des musiciens de la scène électro. Le CD est le résultat d'une collaboration créative avec des DJ, des arrangeurs et des artistes comme Émilie Simon. Nous nous sommes produits en shows lumière dans des cathédrales et à la Cité de la Musique avec la chanteuse du groupe Moriarty. Un jour, je referai un projet de ce type !

Quelles sont les dates phares de votre saison 2015 ?

Laurence Equilbey - Ce que j'aime, c'est qu'avec Accentus, Insula Orchestra et mes autres partenaires, nous sommes au plus près des territoires : les Hauts-de-Seine, la Haute-Normandie, maintenant le nord de Paris avec la Philharmonie. Mais nous avons aussi des concerts très excitants à l'étranger dans les semaines ou les mois qui viennent : le Barbican à Londres, le Theater an der Wien - à Vienne où j'ai habité et que j'adore. Nous partons bientôt à Salzbourg pour la Mozartwoche. Je reviens de Leipzig avec le MDR Orchester (ou Mittel deutscher Rundfunk). Se produire sur de grandes scènes internationales représente aussi des enjeux forts.

Notes :
(1) Brochure "Où sont les femmes ?" éditée par la SACD en téléchargement libre sur le net.
(2) Fondation vouée à la résurrection et à la défense du patrimoine romantique français.


Concert le samedi 17 janvier 2015 à 18 h 30 (entrée libre).
Philharmonie de Paris, 01 44 84 44 84.
221, avenue Jean Jaurès 75019.
>> philharmoniedeparis.fr

● "Le Désert" de Félicien David.
2 CD. Label : Naïve.
Sortie : 26 janvier 2015.

Orchestre de Chambre de Paris.
Laurence Equilbey, direction.
Cyrille Dubois, ténor.
Zachary Wilder, ténor.
Jean-Marie Winling, récitant.

Christine Ducq
Samedi 17 Janvier 2015

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023