La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2017

•Avignon Off 2017• Une radiographie de l'obscurantisme dans un langage lumineux… pour tenter d'y voir clair !

"Contagion", L'Artéphile, Avignon

Ce sont trois petits chapitres construits autour de trois rencontres racontant trois étapes de la vie du personnage principal, Stéphane. Prof au début du spectacle, il se tourne ensuite vers le journalisme de scoop puis vers le métier d'acteur dans l'espoir de pouvoir, comme ceux qu'il croise, accepter la folie meurtrière du monde comme un fait quasi naturel.



© Frédérique Ribis.
© Frédérique Ribis.
La "Contagion" est celle de l'obsession de plus en plus grande, la vampirisation de cette guerre civile mondiale, qui n'est pas seulement, on s'en rend compte, une lutte entre deux factions pour un pouvoir, ni même une lutte idéologique, ni tout à fait une guerre de religion mais une sorte de lèpre, un pourrissement, une réaction du corps social même, issue de la chair de la civilisation qui peu à peu la gangrène. Proliférant chez tous les individus, envahissant les écrans, les discussions, les pensées et même les commerces qui, on le sait, font feu de tout bois depuis la nuit des temps.

Un état d'urgence qui devient un état de fait comme un trou dans un ballon de baudruche que rien ne parvient à obstruer. Il ne reste alors que l'impression de désarroi face à cette béance qui siphonne inexorablement les valeurs des démocraties occidentales. Un désarroi que l'on retrouve chez beaucoup d'artistes, qui restent souvent tétanisés devant les coups portés par les attentats-suicides des intégristes musulmans, tétanisé face à l'incompréhensible.

© Frédérique Ribis.
© Frédérique Ribis.
Pourtant, "Contagion" diffère de ces autres créations. François Bégaudeau choisit de mettre en action son personnage principal plutôt que de le faire discourir ou de lui infliger le schéma coupable/victime. Ce sont trois moments clefs, dans la vie de cet homme confronté à l'influence quasi inexorable de ce virus impalpable. Un homme dans la cinquantaine, encore curieux du monde qui l'entoure, vigilant, mais qui s'aperçoit soudain que quelque chose lui échappe.

Ce qui prime et rend "Contagion" lumineux, c'est la conjugaison extrêmement rare d'un texte subtil, actuel et très observateur, d'une mise en scène doublée d'une direction d'acteur fortes et pures (Valérie Grail) ; et d'une distribution d'une très grande qualité avec Raphaël Almosni dans le rôle de Stéphane, d'une justesse désarmante, et Côme Thieulin capable d'endosser les trois autres rôles avec talent. Il faut souligner ce jeu très "investi-créé" entre les deux comédiens qui se répondent, s'équilibrent, se déséquilibrent parfois dans une très belle performance d'acteurs.

Toute la pièce est parsemée de moments drôles, de moments virtuoses aussi, qui donnent un constant relief au propos qui, sans perdre sa gravité, acquiert une force épique et vivante.

"Contagion", c'est accepter que la question soit question. Car il est difficile d'énoncer clairement l'objet de la question. La radicalisation, les attentats, l'attitude à avoir vis-à-vis de cet état de guerre qui empêche de prendre parti puisqu'il ne dit pas qu'il est en guerre, qui est contre qui. Une guerre inconnue. Une guerre qui ne s'arrête pas aux conflits d'intérêts mais qui pollue et interfère dans toutes les couches de la société et interroge chacun sur son positionnement par rapport au monde, à la réalité, aux valeurs que l'on croyait universelles et à l'intoxication. Tel est la question.

Dans un dernier clin d'œil, démonstration sans fard d'une belle humilité, on se rend compte que le personnage que l'on suit à travers ces trois chapitres se retrouve confronté de fait à chaque rencontre à la même personne (le même acteur), comme si, dans une certaine mesure, lui-même ne voyait chez ces différents individus (qui, d'une certaine manière, sont en phase avec le monde actuel) qu'une seule et même personne. Et qu'au final, ce soit lui, le seul à ne pas être en phase avec le monde. Une humble manière pour l'auteur de glisser ses doutes entre ses mots.

"Contagion"

© Frédérique Ribis.
© Frédérique Ribis.
Texte : François Bégaudeau.
Mise en scène : Valérie Grail.
Avec : Raphaël Almosni, Côme Thieulin et la voix de Marie Thieulin.
Scénographie : Charlotte Villermet.
Lumières : Jean-Luc Chanonat.
Cie Italique.
Durée 1 h 25.

● Avignon Off 2017 ●
Du 7 au 28 juillet 2017.
Tous les jours à à 16 h 10 (relâche le mercredi).
L'Artéphile, 7, rue du Bourg Neuf, Avignon.
Réservations : 04 90 03 01 90.
>> artephile.com

Bruno Fougniès
Mardi 6 Juin 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024